Québec

Québec : Quatre mois de lutte et de répression

La vague de contestations protéiformes que connaît le monde actuellement ne finit pas de s’étendre et de se multiplier. Qu’on les appelle les indigné·e·s, les OCCUPY, BLOCUPPY ou autres, ces mobilisations, si elles ont encore de la peine à s’établir sur la durée et à mettre en œuvre une orientation politique capable de remporter des victoires significatives, sont le signe d’une lutte ô combien nécessaire face à la crise et au dogme de l’austérité. Ce mouvement touche même le continent nord-américain – le Québec en offre un exemple particulièrement spectaculaire – alors que ces dernières décennies, la résignation face à la contre-offensive néolibérale semblait dominer cette partie du monde.

     Au Québec, tout a commencé par la volonté du gouvernement néolibéral d’augmenter de 75 % les droits de scolarité universitaire. Les étudiant·e·s, soutenus par leurs syndicats, ont alors décidé de se mettre en grève dès le mois de février. Des centaines de milliers de personnes ont participé à ce mouvement qui n’a pas faibli jusqu’aujourd’hui, ponctué par trois énormes manifestations où les étudiant-e-s ont bénéficié du soutien actif de larges couches de la population. Cette mobilisation fait forte impression également parce qu’elle est inattendue. Dans l’imagerie dominante, qui rappelle les discours récurrents sur la Suisse, le Canada est souvent présenté comme un pays calme, soucieux du consensus. La prise de la rue par les étudiant-e-s vient démentir cette vision d’une population résignée face aux attaques antisociales. Aujourd’hui d’ailleurs, la contestation s’étend à la province anglophone voisine de l’Ontario, et en particulier à sa capitale Toronto.

     A ces mobilisations, le gouvernement n’a répondu que par la répression, la police n’hésitant pas à casser violemment les manifestations à coup de gaz lacrymogènes. Pire encore, le premier ministre, Jean Charest, a tenu à démontrer son intransigeance en instituant la loi 78. Cette dernière remet dangereusement en cause de nombreuses libertés civiles, en limitant le droit de manifester par différents moyens : obliger les professeurs à donner leurs cours, rendre responsables des dégâts les personnes et associations qui participent à une manifestation, menacer les associations d’étudiants d’être privés de locaux et de financements.

     Mais rappelons au passage qu’en matière de mesures liberticides, Genève fait actuellement plus fort que le Québec, avec la récente loi sur les manifestations, qui va encore plus loin dans la criminalisation des organisateurs, les menaces financières que ces derniers encourent, et la capacité laissée à la police d’interdire une manifestation. Le ministre québecois de la Sécurité publique, Robert Dutil, a d’ailleurs invoqué publiquement l’exemple genevois pour prouver que sa loi n’était pas la plus répressive qu’on puisse trouver parmi les démocraties occidentales! Cette anecdote pointe l’aptitude des autorités suisses à être à l’avant-garde de tout ce qui se fait de conservateur, mais surtout rappelle que les politiques violentes que subissent les jeunes québequois sont le fait d’une politique néolibérale globale, qui se décline partout dans le monde, combinant systématiquement recul des droits sociaux et recul des droits démocratiques. Les étudiant·e·s l’ont bien compris, notamment face au mépris de ceux qui les gouvernent, et très vite, le combat pour les frais d’étude s’est transformée en une lutte contre le néolibéralisme et l’autoritarisme, à laquelle se joignent des secteurs de plus en plus large de la population choqués par la dureté de la répression. Le syndicat étudiant CLASSE appelle à la désobéissance civile et les slogans critiquent ouvertement l’ensemble de la politique du gouvernement, qui remet en cause la tradition d’éducation et de santé gratuite propre au Québec, tout en réduisant les cotisations des entreprises privées destinées à financer les services publics.

   Surtout, au-delà des mots d’ordre, ces mobilisations montrent que la démocratie ne se réduit pas à glisser un bulletin de vote dans l’urne une fois tous les 4 ou 5 ans, ce que d’ailleurs la population fait de moins en moins, compte tenue de la place croissante occupée par l’abstention dans ce genre d’exercice : seules la prise de la rue et la tenue d’assemblées populaires sur les lieux de formation et de travail peuvent redonner un souffle véritable à la démocratie. La nécessité de la lutte extra-parlementaire revient donc sur le devant de la scène. Quelle que soit l’issue de ce mouvement, l’expérience vécue par tant de jeunes restera l’occasion d’une formidable politisation pour une nouvelle génération, dont les victoires se feront peut-être sentir sur une durée plus longue. Une telle dynamique de lutte se retrouve dans d’autres pays, par exemple au Chili secoué depuis plus d’une année par un immense mouvement étudiant, qui est en train de faire tâche d’huile au Mexique. Ces luttes dépassent le cadre de l’éducation pour contester l’ordre néolibéral, l’alourdissement des charges ayant un impact direct sur le budget des familles, bloquant ainsi l’éducation supérieure pour les couches sociales défavorisées, ou alors les obligeant à de grands sacrifices. Ce à quoi l’on assiste est bel et bien le réveil d’une génération ramenant la démocratie dans la rue. Cette exigence démocratique nouvelle traverse tous les pays, sans encore trouver de cohésion ni de forme solide et internationale. Il n’en est pas moins certain que c’est seulement à partir de cette exigence démocratique qu’un dépassement du dogme capitaliste et une sortie de la crise par la gauche seront possibles.

Pierre Raboud