Grèce

Grèce : Recomposition historique du paysage politique à gauche

 

Les élections grecques du 17 juin dernier constituent une leçon essentielle pour toute la gauche anticapitaliste européenne. Avec 26,9 %, Syriza (coalition de gauche radicale) talonne le parti de la Nouvelle démocratie (droite, 29,7 %), qui va former un gouvernement d’union nationale avec un parti socialiste en déroute (12,3 %). Objectif : garantir le respect des plans d’ajustement structurels (mémorandum) imposés à la Grèce par la Troïka (Commission européenne, BCE et FMI). C’est pourquoi tout ce que l’Europe compte de réactionnaires, mais aussi de sociaux-démocrates, s’étaient donnés rendez-vous pour appeler les électrices et les électeurs grecs à ne pas voter pour Syriza.

 

     Que proposait Syriza ? 1. L’abrogation immédiate du mémorandum par le parlement ; 2. La renégociation de la dette publique dans le cadre européen ; 3. En cas de refus, l’interruption du service de la dette, qui aurait entraîné de facto l’éviction de la Grèce de la zone euro. C’est afin de combattre un tel programme que François Hollande n’a pas hésité à intervenir, mercredi 13 juin, à la télévision grecque, pour lancer cet avertissement solennel : « si l’impression est donnée que les Grecs veulent s’éloigner des engagements qui ont été pris et abandonner toute perspective de redressement, alors il y aura des pays dans la zone euro qui préféreront en terminer avec la présence de la Grèce ». Pour celles et ceux qui avaient nourri des espoirs dans la victoire du PS français, voilà une première raison de déchanter.

     Pourtant le principal enseignement de ces élections est ailleurs. Le vote pour Syriza est l’expression d’un rejet populaire du diktat de la Troïka, massivement plébiscité par les salariés et les jeunes de tout le pays, en particulier dans les grands centres urbains. Rappelons que Syriza avait obtenu 3,3 % des suffrages en 2004, 4,6 % en 2009… et qu’elle a bondi à 16,8 % en mai dernier, et à 26,9 % aujourd’hui. Elle est le premier parti du grand Athènes et de tous les centres urbains importants. Elle réalise ses meilleurs scores dans la deuxième circonscription (ouvrière) du Pirée et dans le département de Xanthe, au nord du pays, au sein de la majorité musulmane turcophone. Aucun parti européen n’a connu une progression comparable depuis la seconde guerre mondiale !

     Mais à quoi Syriza doit-elle ce succès exceptionnel ? Avant tout, à la mobilisation sans précédent du peuple grec contre l’offensive de démolition sociale dont il est l’objet depuis plusieurs années, en particulier depuis deux ans, sous la pression des grandes banques, relayée par les gouvernements conservateurs et sociaux-démocrates européens. Une baisse des salaires moyens d’environ 30 %, et une amputation plus forte encore des retraites, a précipité près de la moitié des habitant·e·s du pays au-dessous du seuil de pauvreté. Et jusqu’ici, leur riposte a été à la hauteur : dix-sept grèves générales, de nombreuses occupations d’entreprises, une mobilisation de la petite paysannerie, un vaste mouvement d’occupation des places publiques, etc.

     Le succès de Syriza ne résulte pas d’un recentrage de son discours sur des thèmes républicains ou patriotiques. Depuis sa fondation, cette coalition a connu une évolution à gauche, sous la pression du mouvement social. Sa percée ne doit rien non plus à la politique spectacle ou aux qualités d’orateur – plutôt limitées – de son jeune leader de 37 ans, Alexis Tsipras. Si elle a réussi à siphonner les votes populaires du Pasok et du KKE (Parti communiste) – qui n’a recueilli que 4,5 % des voix –, c’est parce qu’elle a su se poser en alternative radicale à la thérapie de choc en cours. La question sociale a été au centre de sa campagne, mais avec un appel unitaire clair au Parti communiste, aux dissidents du Pasok et aux petites forces d’extrême gauche, pour former un gouvernement de gauche, contre l’austérité, maintenant.

     Le défi pour les anticapitalistes grecs consiste aujourd’hui à organiser la résistance dans les entreprises, dans la rue et au parlement, en privilégiant le développement d’un rapport de force social et en favorisant les formes d’initiative et d’organisation populaires. Dans ce cadre, une lutte déterminée contre l’extrême droite nazie de L’Aube dorée, qui recueille 6,9 % des voix (et près de 50 % des suffrages des policiers d’Athènes !) devrait être une priorité. Tolérer aujourd’hui qu’elle contrôle certains quartiers de la capitale et assassine des immigré·e·s en toute impunité, ce serait la laisser se poser à terme en bras armé des secteurs les plus agressifs de la droite.

     La gauche combative grecque a rendu un immense service à tous les anticapitalistes européens en faisant les premiers pas sur la voie d’une recomposition du paysage politique à gauche, en rupture avec le pacte pour l’austérité conclu par la droite et la social-démocratie européenne depuis près de 30 ans. Il n’est pas fortuit que cette rupture ait été provoquée par l’irruption d’une formidable vague de luttes populaires par en bas. Dans les mois à venir, il est vital que cette dynamique trouve des relais à l’échelle européenne.

Jean Batou