«Ici, c'est moi le chef! Point final!»
Directeur général de Swissprinters, Hans Wälti l’a dit en version originale: « Hier bin ich der Chef ! Punkt. » C’est en effet ainsi que l’on « négocie » dans la principale imprimerie de Suisse. Poursuivant une stratégie de concentration et de centralisation à marche forcée, Swissprinters a décidé de fermer le site de Renens, plus connu dans la région comme celui des IRL (Imprimeries réunies, Lausanne). A la clef, plus de 120 licenciements.
Les IRL ont longtemps fait office de fleuron de l’imprimerie de qualité dans la région, lorsqu’elles imprimaient revues d’art et éditions recherchées. A l’autre bout de la Suisse, à Saint-Gall, l’imprimerie Zollikofer bénéficiait d’un renom tout aussi flatteur. Ses racines historiques étaient profondes ; fondée en 1798, elle diffusait alors des pamphlets révolutionnaires. Mais le capitalisme n’a que faire des souvenirs historiques et des réputations professionnelles. Né de la fusion de trois grands de l’imprimerie, Swissprinters s’apprête à fermer le site renanais, après le saint-gallois en 2011, année de la suppression aussi d’une trentaine d’emplois à Zurich. |
C’est là le fruit d’une stratégie de concentration délibérée. En 1999, Zollikofer et la NZZ AG fusionnent pour donner naissance à la NZZ Geschäftsdruck, qui elle-même fusionnera en 2004 avec Ringier. Devenu Swissprinters en 2004, le holding accueillera les IRL en 2006 (qui passeront ensuite d’Edipresse à Tamedia). Dès 2008, les fermetures commencent (Rotkreuz) et en 2009 déjà, Swissprinters supprimera 70 emplois sur les 1 050 que comptait le groupe, mettant au chômage partiel 180 collaborateurs.trices. Actuellement, Ringier détient la majorité des actions (58,8 %), la NZZ 25,2 % et Tamedia (TPR) 16 %.
Objectif Zofingue
A la recherche d’une rentabilité maximale, le groupe a concentré tous ses moyens sur un seul site de production, celui de Zofingue, chargé d’accueillir la plus grande rotative offset de Suisse, un monstre long de 50 mètres et pesant plus de 250 tonnes. Elle peut débiter chaque heure 3,6 millions de pages A4 en quadrichromie et doit permettre de partir à la (re)conquête du marché mondial. D’où son appellation poétique de « Swissflagship », navire amiral suisse.
Les lois du marché étant ce qu’elles sont, sanctionnant toujours a posteriori les choix effectués par les entreprises et provoquant en cas d’échec destruction d’emplois et de capitaux, on ne saura que dans quelques années si cette stratégie se justifiait du point de vue de la mise en valeur du capital. Du point de vue social, les dégâts sont déjà là, en terme d’emplois supprimés et de vies saccagées.
Les options prises par la direction de la holding soulèvent par ailleurs quelques sérieux doutes :
– le fait de ne pas procéder aux investissements nécessaires pour renouveler le parc des machines et leur technologie, comme c’est le cas à Renens, peut traduire une volonté consciente de rendre le site encore moins concurrentiel et donc légitimer ensuite sa fermeture ;
– sans tomber dans la stratégie du complot, il faut rappeler que dès 2009, le syndicat Comedia avait rendu public le fait que Swissprinters travaillait sur un scénario de fermeture la plus rapide possible de l’imprimerie Zollikofer. Bien avant les difficultés conjoncturelles évoquées en 2011 et 2012. Le rachat aura donc aussi permis de se débarrasser d’un concurrent et de récupérer sa clientèle ;
– des témoignages concordants d’employé·e·s des IRL (24 Heures du 21 et du 30 juillet) font non seulement état d’un sous-investissement récurrent, mais aussi d’une surfacturation à l’interne, entre les différents segments du groupe (location de matériel, échange de services, loyer du bâtiment, etc.). Qui veut noyer son chien lui inocule la rage…
Sauver les emplois, oui, mais comment ?
La direction de Swissprinters a une longue tradition de marginalisation du syndicat. Elle l’a pratiquée avec succès lors de la lutte en Suisse alémanique, lorsque syndicom a pu, avec les salarié·e·s les plus combatifs, procéder à des arrêts de travail en novembre 2011, sans toutefois pouvoir aller jusqu’à la grève d’avertissement d’un jour. Encore s’agissait-il moins de sauver des emplois que d’améliorer un peu le plan social.
Incontestablement, ce premier succès de la direction a pesé lourd dans le rapport de force. Elle a pu continuer à tenir à l’écart l’organisation syndicale. De leur côté, les salarié·e·s du site de Renens, abreuvés de mauvaises nouvelles, voyant l’outil de travail vieillir, se sont laissés gagné par un certain fatalisme. Résultat : à la première assemblée du personnel convoquée par le syndicat, il n’y avait qu’une seule personne ! La situation s’est depuis bien améliorée. Il était donc juste de populariser la lutte par une pétition et de demander le maintien des emplois. Mais la mobilisation reste encore minoritaire. Lors du dépôt de la pétition, munie de ses 3 202 signatures le 22 août, il n’y avait environ qu’un tiers des salarié·e·s de l’entreprise à avoir pris part à la manifestation.
Mais le « plan B », négocié dans une belle opacité par le Conseil d’Etat, la direction de l’entreprise et la commune de Renens, dont on pense qu’il ne sauvera qu’une soixantaine d’emplois n’est pas non plus une perspective très mobilisatrice. C’est la duplication du « modèle Novartis » : faites confiance aux pouvoirs publics et tout ira, non pas pour le mieux, mais disons, pour le moins pire.
Pourtant, les trois entreprises de la holding sont bénéficiaires ces dernières années : l’ouverture des livres de comptes et leur contre-expertise s’imposaient. Car si la situation se révélait être aussi le fruit d’un calcul délibéré de la direction du holding, il y aurait encore moins de raison de céder sur les licenciements et les conditions de travail.
Daniel Süri