Afrique du Sud

Afrique du Sud : La politique sanglante du platine

La grève des mineurs de Marikana, qui réclamaient des augmentations salariales et qui a conduit au massacre d’une quarantaine d’entre eux le 16 août dernier, aura au moins permis d’attirer l’attention sur la vie dans les mines sud-africaines. Car au-delà des conflits entre différents syndicats – que l’on a cherché à tout prix à présenter comme un facteur principal – la misère des travailleurs des mines d’Afrique du Sud se trouve bien au cœur des tensions. Par sa révolte, cette main-d’œuvre corvéable à merci, qui travaille dans des conditions précaires et dangereuses et qui continue d’être sous-payée malgré une explosion des prix du platine au cours de ces trente dernières années, a cherché à mettre en cause cette politique de la main-d’œuvre bon marché héritée de l’Apartheid pratiquée par les industries et soutenue par l’Etat. Nous reproduisons ci-dessous la traduction d’un éditorial éclairant paru sur amandlapublishers.co.za. (GW)

 

Aucun événement survenu depuis la fin de l’Apartheid ne résume mieux la superficialité des transformations survenues dans le pays que le récent massacre de Marikana. Ce qui s’est passé sera sans doute débattu durant des années. Il est déjà clair que l’on reprochera aux mineurs d’avoir usé de la violence. Ils seront dépeints comme des sauvages. Pourtant, le fait est que la police, fortement armée, a brutalement tiré à balles réelles, tuant ainsi 44 mineurs et en blessant bien plus. Dix autres travailleurs avaient déjà été tués juste avant ce massacre.

 

Des échecs en série

Ce massacre n’est pas le fait de quelques policiers crapuleux. Il est le résultat de décisions prises au sommet des instances policières. La police avait promis de répondre par la force et elle est effectivement arrivée armée de balles réelles. Elle ne s’est pas mieux comportée que la police de l’Apartheid face au massacre de Sharpeville en 1960, aux insurrections de 1976 à Soweto et aux manifestations des années 1980, où de nombreuses personnes furent tuées. Des réponses violentes et agressives de la police face aux protestations qui trouvent un écho et une résonance dans ce dernier massacre.

       C’est une tache de sang dans la nouvelle Afrique du Sud. C’est un échec de direction. Echec de direction de la part du gouvernement : de ses ministres du Travail et des Ressources minières qui ont brillé par leur absence durant tout l’épisode ; de son ministre de la Police qui soutient que cette affaire n’est pas politique, un simple conflit du travail donc, et qui défend l’action de la police ; un échec enfin du Président qui n’a répondu à cette crise que par des banalités, et qui n’a pas jugé bon de mobiliser le gouvernement et ses énormes ressources pour s’intéresser immédiatement à la situation des mineurs, et aujourd’hui à celle de leurs familles endeuillées.

       C’est également l’échec et la trahison de la direction de la mine de Lonmin, qui a refusé de mener à bien les engagements pris envers les leaders syndicaux de rencontrer les travailleurs et d’entendre leurs revendications. La direction a dû faire le grand écart, ayant d’abord accepté de négocier avec les travailleurs pour ensuite renoncer, prétextant qu’ils avaient déjà un accord de deux ans avec le National Union of Mineworkers (NUM).

       Il s’agit malheureusement aussi d’une défaite de la direction syndicale : en premier lieu du NUM, qui voit chaque opposition à sa direction comme criminelle, considérant a priori qu’elle est nécessairement une création de la Chambre des Mines. Ce qui n’est évidemment pas le cas. Il s’agit également d’une défaite de la direction de l’Association of Mining and Construction Union (AMCU), qui agit de manière opportuniste dans le but de recruter des membres mécontents du NUM, mobilise les travailleurs autour de demandes irréalistes et échoue à condamner la violence de ses propres membres.

 

Violence du système minier

Le niveau de violence dans nos mines démontre les profondes divisions et la polarisation existantes au sein de la société sud-africaine. Les mineurs sont employés dans des situations extrêmes de pauvreté et vivent souvent dans des conditions très précaires, dans des campements dépourvus des services de base. Les mineurs sont généralement recrutés de manière informelle, par l’entremise de « recruteurs » payés par la direction de la mine, et ne bénéficient pas de conditions de travail décentes. La « grève sauvage » (comme d’autres grèves similaires dans les mines) qui a déclenché les évènements conduisant au massacre est une réponse à la violence structurelle du système minier sud-africain. Néanmoins, il s’agit également d’une réponse à quelque chose d’autre, que l’on ne saurait ignorer.

       Les propriétaires des mines, enrichis grâce à l’expérience BEE [pour Black Economic Empowerment, programme du gouvernement destiné à redresser les inégalités issues de l’Apartheid, et qui conduit de fait à la constitution d’un réseau entre «vieilles» élites blanches et «nouvelles» élites noires, GW], y voient une opportunité de monter les dirigeants syndicaux « raisonnables » contre les travailleurs. Ils ménagent de bonnes relations avec les syndicats, conduisant à les diviser des travailleurs de la base. La colère dans les mines est une colère profonde envers la direction, mais qui se dirige progressivement contre la complaisance et l’échec de leurs directions syndicales à défendre et représenter les intérêts des travailleurs. La division entre les membres des syndicats et leurs directions est l’un des facteurs expliquant ce qui s’est passée à Lonmin et qui se passe dans d’autres mines de platine. Néanmoins, le massacre de 44 travailleurs est le résultat de la violence de l’Etat, et particulièrement de la police. Tôt ou tard, le Ministre Mthethwa devra prendre ses responsabilités et démissionner. 

 

Traduction, titre et intertitres de Giulia Willig.