Afrique du Sud

Afrique du Sud : Victoire mais déclin pour l'ANC

L’Afrique du Sud a tenu sa sixième élection législative et provinciale en un quart de siècle post-apartheid. Comme pronostiqué, l’ANC est arrivé en tête pour l’Assemblée nationale avec 57,5% des voix (contre 62,15% en 2014).

Meeting de l’EFF, 2019

Ce déclin est moins prononcé que ce que prédisaient certains sondages. L’ANC conserve une majorité absolue, qui va permettre à Cyril Ramaphosa de conserver le fauteuil présidentiel qu’il occupe depuis février 2018, à la suite de l’éjection de Jacob Zuma traînant des casseroles de corruption. Suit la Democratic Alliance (DA) – à majorité blanche, mais dirigé par un Noir, Mmusi Maimane – avec 20,8%, soit 84 sièges (contre 89 en 2014). Le mouvement Economic Freedom Fighters (EFF) a confirmé sa 3e place, avec 10,8% des voix, soit 44 sièges (contre 25 en 2014).

Au niveau des parlements provinciaux, l’ANC obtient la majorité dans huit provinces sur neuf, mais en perdant partout de un à huit sièges. La Democratic Alliance a conservé sa majorité à Western Cape. Quant à l’EFF, il obtenu 20 sièges de plus qu’en 2014 dans l’ensemble des provinces. De même, le parti afrikaner Freedom Front Plus (FF+) a progressé avec un total de huit sièges de plus dans sept provinces sur les neuf.

EFF et FF+ sont ainsi les deux formations politiques en progrès dans l’électorat. Ceci reflète sans doute l’importance, au cours de la campagne, de la proposition d’expropriation des terres sans compensation défendue par l’EFF comme une réponse à la pauvreté et à laquelle s’oppose le FF+. Dans le pays, les Blancs·ches représentent 9% de la population, mais les fermiers blancs possèdent 70% des terres arables.

Un bilan social calamiteux

Ces résultats montrent que le prestige de l’ANC, auréolé dans l’opinion de son rôle dans la libération de l’apartheid, n’a pas encore disparu, mais est menacé par la part croissante des born free. Encore peu présent·e·s dans le corps électoral, ces dernières·ères critiquent la politique sociale menée par le gouvernement. Malgré quelque progrès, notamment en matière de logement, d’accès à l’eau potable ou de scolarisation publique, le bilan social des 25 ans de l’ANC au gouvernail de l’État sud-africain est calamiteux.

En effet, selon les chiffres de la South African Federation of Trade Unions, les taux actuels de pauvreté (55% de la population), de personnes ne mangeant pas à leur faim (26%), de chômage (37% ; 52% parmi les jeunes de moins de 25 ans), d’inégalités sociales (70% de la richesse nationale est détenue par 1% de la population), de violences (assassinats et viols) à l’égard des femmes (au moins 100 viols rapportés quotidiennement), etc., marquent l’échec de la promesse de mettre un terme non seulement à l’inégalité entre les races, mais aussi aux injustices sociales.

Les inégalités sociales sont encore généralement déterminées racialement, la suprématie socio-économique blanche n’ayant pas disparu. Elles sont aussi intra-raciales entre capitalistes noir·e·s, dont Cyril Ramaphosa, et les résident·e·s des bidonvilles.

Du néolibéralisme avec un zeste de social

Cette situation ne s’explique pas uniquement par les affaires de corruption médiatisées, certes importantes. La cause profonde de ces inégalités est l’orientation économique optée, publiquement à partir de 1996 sous la présidence de Nelson Mandela: le néolibéralisme avec un zeste de social. Cyril Ramaphosa (co-responsable de la répression meurtrière des mineurs à Marikana en 2012 et usager des paradis fiscaux) n’a amorcé aucune rupture.

Le succès de l’EFF – issu récemment de l’ANC – s’explique en partie par l’affichage d’une préoccupation pour les pauvres, les femmes, les jeunes – en majorité noir·e·s. Mais ce parti compte en même temps résoudre le problème du chômage par, entre autres, la multiplication des zones économiques spéciales qui sont des espaces de surexploitation de la force de travail, en y introduisant seulement le salaire minimum. L’EFF n’est pas une force anticapitaliste, malgré son étiquette médiatique de « parti de la gauche radicale ».

L’une des « réussites » politiques de l’ANC est non seulement d’avoir capturé le South African Communist Party ainsi que le Congress of South African Trade Unions au sein de la Tripartite Alliance, mais aussi d’avoir marginalisé la gauche radicale – très active dans la lutte contre l’apartheid – pendant les premières années post-apartheid.

Aux dernières élections, on ne trouve guère que le Socialist Revolutionary Workers Party (considérant la Corée du Nord comme socialiste…), lancé en 2018 par la National Union of Metalworkers of South Africa (NUMSA). Il ne s’est classé que 16e sur 48 partis, avec 24 439 voix, soit 13 fois moins que le nombre de ses adhérent·e·s.

Jean Nanga