Burkina Faso

Burkina Faso : Retour sur une révolte peu connue

Il y a un an, au moment où tombaient les régimes de Ben Ali et de Moubarak, le Burkina Faso était aussi secoué par une révolte populaire de grande ampleur. C’est à une plongée passionnante et bien documentée dans les luttes de ce pays d’Afrique de l’Ouest qu’invite Lila Chouli – chercheuse à l’université de Johannesburg – dans un livre venant de paraître.

Dans une introduction éclairante, L. Chouli inscrit d’abord cette révolte dans l’histoire récente de ce pays parmi les plus pauvres de la planète: depuis l’assassinat du dirigeant progressiste Thomas Sankara en 1987, en passant par les nombreux mouvements de résistance au pouvoir de Blaise Compaoré et à sa politique néolibérale, parmi lesquels les « émeutes de la faim » en 2008, suite à la hausse brutale du prix des matières premières provoquée par la spéculation sur les marchés boursiers internationaux. L’auteure, pour mieux cerner la situation du Burkina Faso, met aussi en lumière le rôle de l’impérialisme des pays du Nord, en premier lieu de la France, dans la vie du pays: la France qui, ces dernières années, a notamment essayé de soudoyer les partis d’opposition pour convaincre leurs dirigeants d’entrer au gouvernement Compaoré, auquel elle a par ailleurs livré – comme dans le cas tunisien – du matériel de maintien de l’ordre.

 

Feu aux poudres

En février 2011, la mort d’un collégien passé à tabac dans un commissariat de police met le feu aux poudres: les écoles et universités du pays entrent en grève pour dénoncer l’impunité des forces de police, et exigent une enquête indépendante sur ce décès (cf. solidaritéS N° 187, 8.5.2011). Compaoré – grand ami de la France et notamment de certains caciques du Parti socialiste français, docteur honoris causa de l’université de Lyon III, au sommet de l’Etat depuis 23 ans – essaie d’emblée de casser le mouvement, en mettant en œuvre une répression sanglante, se soldant par 6 morts et 200 blessés en trois jours. Mais cette violence d’Etat ne fait qu’élargir la protestation, conduisant à une grève générale en avril, renforcée par la participation massive des secteurs de l’économie informelle dans les manifestations, ainsi que de la petite paysannerie. Les manifestant·e·s reprennent des slogans fleurissant au même moment plus au Nord, en particulier: «Compaoré dégage!»

Le rôle ambigu de l’armée

L’auteure analyse ensuite avec finesse le rôle, plus ambigu, d’un autre acteur social, dont l’entrée en action fait vaciller le pouvoir de Compaoré: celle des sections de l’armée qui se mutinent à la faveur de cette crise, mais sans toutefois se solidariser avec le mouvement populaire. Si les causes de cette mutinerie sont certes à chercher dans la paupérisation des soldats de rang et dans la colère suscitée par la corruption de la haute hiérarchie militaire, la dimension corporatiste de ces révoltes des casernes contribuent à expliquer pourquoi le clan Compaoré a réussi à se maintenir au pouvoir. Moyennant un certain nombre de concessions (subventions de produits de grande consommation, suppression de certaines taxes antisociales, hausse des pensions des retraités, etc.), qui sont, elles, à mettre au compte de la puissante mobilisation populaire. Mobilisation qui s’est entretemps affaiblie, mais qui n’est pas terminée, comme le souligne l’auteure : « Les importants conflits sociaux qui se déroulent encore que ce soit dans les villes ou dans le monde rural montrent qu’il s’agit d’une trêve sociale, non d’une démobilisation».

Avantage supplémentaire de l’ouvrage, les éditions tahin party le mettent gratuitement en ligne sur leur site, permettant à celles-ceux qui ont peu de moyens, notamment au Burkina Faso, de se le procurer. L’ouvrage débute par cette mise en garde provocatrice : « Le photocopillage tue l’industrie du livre. Le plus tôt sera le mieux. » Mais, pour soutenir cet éditeur alternatif, rien n’interdit non plus d’acheter ce livre captivant.

 

Hadrien Buclin

Lila Chouli, « Burkina Faso 2011. Chronique d’un mouvement social », Lyon, « tahin party », 2012.