Qui sème la misère récolte l'indignation

Le 7 août dernier, en Andalousie, à Arcos de la Frontera et à Ecija, le Syndicat andalou des travailleurs (SAT) – dont l’un des animateurs est Juan Manuel Sánchez Gordillo, maire de Marinaleda, petit village andalou qui résiste au capitalisme réellement existant – a mené une opération-choc dans deux supermarchés de la région (Carrefour et Mercadona).

Des dizaines de personnes ont rempli une vingtaine de chariots avec des denrées de première nécessité avant de partir sans payer. Ces denrées ont été ensuite distribuées à différents services sociaux et aux habitant·e·s démunis de la « Corrala Utopia » (Séville), un ensemble de quatre immeubles vides squattés depuis plusieurs mois par 36 familles en situation de « danger social », selon les termes des « indignés » qui ont organisé l’occupation et leur relogement.

« Ce n’est pas un vol », a déclaré José Manuel Sánchez Gordillo. « Un vol, c’est ce que font les banques qui achètent de la dette à la Banque centrale européenne à 0,7 % et la vendent à l’Espagne à 7 %. Ce que nous avons fait, c’est un acte d’insoumission pour dénoncer le fait qu’il existe des familles qui ne peuvent pas se payer de quoi manger. » (Le Monde,  29.8.2012).

Si les «partis d’alternance» (PP et PSOE) ont condamné l’opération du SAT, un sondage sur le site du journal conservateur « El Mundo » appuie celle-ci majoritairement : 54 % des internautes approuvent cette action solidaire.

Nous publions ci-contre un commentaire de notre camarade Miguel Romero, éditeur de la revue « Viento Sur », à propos des réactions médiatico-politiciennes contre l’action du SAT (réd)

Plus de 500 000 familles andalouses sans revenus. C’est-à-dire sans la capacité de se procurer la nourriture pour survivre. L’action solidaire des militants du Syndicat andalou des travailleurs – expropriant des aliments au profit d’une petite partie de ces familles – a contribué à rendre visible ce qui n’était qu’un chiffre supplémentaire dans le musée des horreurs qu’accumule la comptabilité des désastres sociaux engendrés par la crise. Même si l’action du SAT avait seulement contribué à la médiatisation de la situation d’extrême nécessité dans laquelle une partie de la population (pas uniquement en Andalousie) est tombée, cette action mériterait un appui inconditionnel. Mais les réactions des médias se résument à différentes variantes de rejet : de celle qui s’accompagne de l’exigence de «de chasse et de capture» des militant·e·s du SAT, jusqu’aux plus honteuses, celles-là même qui suscitent le plus de honte.

Ainsi, nous avons le rejet des propriétaires de ces hypermarchés, dont le droit sacré de propriété a été défié par ceux qui affirment qu’aucun droit ne peut prévaloir sur le droit à l’existence. Rappelons que le propriétaire de la chaîne Mercadona, Juan Roig, fut le créateur de la recette inoubliable pour « en finir avec la crise» (sic), consistant à « travailler comme des Chinois » (resic) : en clair, travailler sans horaire, ni droit d’aucune sorte, comme cela se passe dans les commerces dirigés par des personnes de nationalité chinoise.

Nous avons aussi le rejet du gouvernement, incarné par les ministres de l’Intérieur et de la Justice, habitués à regarder les nuages face aux escrocs, aux voleurs du patrimoine public et autres riches délinquants, mais qui ont appelé leurs adeptes, y compris médiatiques, à la charge contre des ouvriers et des syndicalistes pauvres et dignes.

Et, à partir de là, nous entrons dans le débat du « fond » et de la « forme ». Vaste débat qui, comme on sait, a fait couler des flots d’encre. Très utile au surplus pour des politiciens avisés cherchant à sauver la face. Ainsi, Oscar López – secrétaire du PSOE à l’organisation – a déclaré que sur le « fond » il y aurait certes beaucoup à dire… Mais sur la « forme », López exprime son « rejet total », parlant de « défendre la légalité», car « ce ne sont pas des méthodes démocratiques».

Mais imaginez-vous qui d’autre en est arrivé à dire à peu près la même chose ! Tout simplement, Diego Valderas, coordinateur de la fédération andalouse de Izquierda Unida (IU) et vice-président du gouvernement régional. Certes le mal peut s’attraper facilement. Mais, dans ce cas, il est particulièrement indigne de faire prédominer la « charge institutionnelle » sur la solidarité élémentaire avec des syndicalistes – parmi lesquels se trouvent des camarades de Diego Valderas – et avec les familles bénéficiaires de l’action du SAT.

Et pour boucler la boucle, Fernando Lezcano (dirigeant des Commissions ouvrières (CC.OO.)) – avec cette arrogance insupportable qui caractérise pas mal de responsables des CC.OO. quand ils parlent de syndicalistes qui ne sont pas à leur botte – a estimé que ces actions « sont plus apparentes qu’effectives». Comme si son syndicat avait jamais fait quelque chose d’ « effectif » en faveur de ce 20 % de la population soumis à la pauvreté…

«Qui sème la misère récolte la colère», dit un vieux slogan du mouvement ouvrier français. J’ai adapté la traduction pour mon titre en utilisant le mot « indignation », qui caractérise les mouvements nés le 15 mai (15M). Avec l’espérance qu’ils fassent leur l’action du SAT. Et avec la certitude qu’il y aura bien d’autres actions de ce type et pas seulement en Andalousie.

 

Miguel Romero

(publié sur www.vientosur.info
traduction Hans-Peter Renk)