Slutwalk

Slutwalk : Le sexe, c'est cool...

L’affaire des viols collectifs de Créteil a mis en lumière des comportements d’une extrême cruauté, impliquant jusqu’à vingt hommes s’adonnant à des actes sexuels sur une femme en pleurs. Les accusés, qui ont pu insulter la victime en toute impunité durant le procès, ont un mot d’ordre dont ils ne démordent pas : « La fille, si elle est là, c’est qu’elle est d’accord.?» « Tout le monde sait que c’est une pute.?» La logique est la suivante : puisqu’une fille est une « pute », il est normal qu’elle soit agressée sexuellement. Car les pleurs, ça ne compte pas?; la détresse, c’est insignifiant.

Du moment que la jeune femme est désignée comme appartenant à la catégorie de celles « qui le méritent.?» Cette affaire – sa justification aux yeux des coupables et de la justice qui a acquitté les accusés – découle d’une logique sexiste largement implantée dans nos sociétés occidentales modernes. 

 

 

 

Cette logique peut s’exprimer de différentes manières : du sonnant « Suce ma bite, salope ! » à la palpation de fesses en pleine rue, de la drague « un peu lourde » à l’agression sexuelle au retour de soirée… Des attaques courantes, des formes banales d’humiliations et de mépris qui ont pour but de stigmatiser les attitudes féminines : si tu ne te comportes pas de manière « respectable », tu mérites que je t’insulte… Voire pire, tu mérites d’être agressée car par ton comportement, tu le cherches. Ce type d’agressions, au-delà de leur portée directe, vise le contrôle de la « sexe attitude » des femmes. C’est-à-dire, la mise en place de mécanismes à la fois symboliques et concrets visant à empêcher ces dames de « sortir du rang » : celui de l’humble femme, modeste et discrète. Car il faut qu’elles gardent « leur rôle », celui de fille respectable, de sœur honnête, d’épouse dévouée. « En t’habillant comme ça, tu l’as cherché », comprenons, « pour être respectée, il te faut appliquer les codes de la femme soumise ». Celle qu’on ne voit pas, qui rase les murs et fait le maximum pour cacher la dimension sexuelle de son corps. Nous parlons de pression à la fois symbolique et concrète : symbolique car le discours du type « tu l’as cherché » contribue à créer un système de représentations culpabilisant les femmes?; et concrète dans la mesure où les agressions interviennent pour ramener à l’ordre celles qui prennent trop de libertés.

 

Salopes ? Non, libres !

 

Liberté. Un mot sur lequel il faut revenir, pour déconstruire réellement le discours de justification des viols par l’attitude féminine. Qu’est ce qu’une « salope » ? Terme à géométrie variable, qui implique systématiquement le dénigrement des femmes à partir d’un référent sexuel. Une salope est une femme qui s’habille court. Qui drague. Qui allume mais ne couche pas (le grand drame de la génération « pilule », qui attend une constante disponibilité vaginale). Ou qui couche avec un peu trop d’hommes. Une salope se promène seule la nuit, boit de l’alcool, ou simplement, sort avec plusieurs amis de sexe masculin sans s’afficher clairement avec l’un ou l’autre. La salope, en un mot, vit. Elle a une existence propre, des modes de vie qu’elle a choisis et qui s’écartent, de peu ou de beaucoup, du rôle féminin traditionnel. La salope sort de la cuisine ou de la chambre des enfants pour investir la rue, promener sa scandaleuse personne là où bon lui semble. La salope, vous l’avez compris, est une femme libre. C’est cette liberté, avant tout, que le mouvement « Slutwalk » entend défendre.

Née à Toronto en 2011, la Slutwalk a eu pour point de départ la déclaration d’un policier à la suite d’une série de viols sur le campus. Dans le cadre d’une conférence de prévention adressée aux femmes (pourquoi pas aux hommes, d’ailleurs ?) l’agent a proclamé que pour ne pas être violées, ces demoiselles devaient « ne pas s’habiller comme des salopes ». Plusieurs milliers de personnes ont manifesté contre ces propos, donnant naissance à un mouvement devenu mondial depuis. 

 

 

Des perspectives d’émancipation féminine

 

L’idée de base du mouvement « Slutwalk » réside dans cette conviction fondamentale : aucune femme ne mérite d’être agressée, aucune tenue ou attitude ne justifie un viol mais surtout, une victime de violence sexuelle n’est pas coupable de ce qui lui est arrivé. La Slutwalk lutte contre la stigmatisation des victimes, contre le discours qui protège les coupables en incriminant le comportement des femmes. Plusieurs revendications entrent dans cette ligne : nous voulons que le discours sur le viol change, nous voulons que lors des cours d’éducation sexuelle, on apprenne aux petits garçons et aux petites filles que « non, c’est non », et que quand Jessica met une mini-jupe, ça ne signifie pas qu’elle souhaite se faire culbuter l’arrière train. Dans une perspective d’émancipation féminine, nous voulons créer des dynamiques encourageant les femmes à croire en elles-mêmes et à la liberté à laquelle elles ont droit : par le biais de cours d’auto-défense spécifiquement pensés pour les femmes, mais aussi à travers la diffusion d’écrits et la création de groupes de réflexion. Nous voulons qu’au niveau juridique en Suisse, le crime de viol ne désigne pas uniquement la pénétration vaginale par un homme : une fellation non-voulue impliquant deux hommes, une pénétration anale sont également des viols.

  Nous croyons en la beauté de la sexualité. Nous aimons le sexe, la séduction et le désir. Nous voulons vivre notre corps comme nous l’entendons, arpenter les rues avec panache et la tête haute. Nous exigeons que les « salopes » cessent d’être montrées du doigt pour « excès de liberté ».

 

Géraldine Viredaz