Halte à l'opération coloniale française au Mali

Moins de deux semaines après le début de l’opération Serval au Mali, à laquelle la Suisse apporte son soutien, les anciennes troupes coloniales ont déjà disposé plus de 2000 hommes sur le terrain. Selon le ministre « socialiste » de la Défense, Jean-Yves Le Drian, que Nicolas Sarkozy avait contacté en vain pour le gouvernement Fillon, l’objectif initial de 2500 combattants devrait être prochainement dépassé (France 3, 19 janvier) : le dispositif total pourrait avoisiner les 5000 hommes, avec les troupes qui opèrent depuis le Niger, le Sénégal et le Burkina Faso. De son côté, comme le note France 24 (19 janvier), sur un ton quasi-raciste: « L’armée malienne affiche son désœuvrement ».

Selon François Hollande, il s’agit d’une intervention limitée dans le temps – mais qui durera le temps qu’il faudra – pour préparer le déploiement d’une force d’intervention africaine… Son objectif déclaré : défendre la souveraineté et l’intégrité territoriale du Mali contre l’activité croissante de groupes islamistes au nord du pays, qui menacent d’y établir « un Sahelistan jihadiste » (Fabius) ou un «?Etat terroriste à portée de l’Europe et de la France » (Le Drian). 

En réalité, si l’ex-métropole doit intervenir militairement au cœur de son ancien empire d’Afrique Occidentale, c’est que la construction de relais étatiques néocoloniaux y est dans l’impasse. Depuis le Sud–Mali, voisin du Sénégal, de la Guinée, de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso, c’est une soldatesque mafieuse qui domine les trafics (armes, et plus récemment drogues), presque sans interruption depuis 1968. Au nord, voisin de l’Algérie et de la Mauritanie, le pays touareg est en rébellion permanente contre l’héritage de sa partition coloniale. En avril 2012, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), groupe laïc, dont l’autorité est contestée par les salafistes d’Ansar Dine (sans rapport avec al-Qaïda), a proclamé l’indépendance.

Ces facteurs « historiques » de la crise malienne se sont vus brutalement aggravés, depuis 2011, par l’intervention militaire occidentale en Libye, qui a poussé des milliers de Touaregs, jusqu’ici enrôlés dans l’armée de Kadhafi, à rejoindre le Sahel avec leurs armes, donnant une puissance de feu inédite au MNLA. Quelques mois plus tard, le coup d’Etat militaire avorté, qui a porté un dernier coup aux institutions fragiles de l’Etat malien, a conféré un nouvel avantage à la rébellion touarègue, au grand dam de plusieurs pays voisins, membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CODEAO), qui ont tout à craindre d’une éventuelle partition du Mali.

Du point de vue des puissances impérialistes, l’unité du Mali est au cœur des équilibres néocoloniaux de toute la région. A l’inverse, la rébellion touarègue, qui aspire depuis longtemps à la formation d’un Etat sahélien occidental, est son talon d’Achille. Or, cette région est d’une importance stratégique pour ses ressources naturelles – hydrocarbures (bassin de Taoudeni, au Nord-Mali), mais aussi uranium (quasi-monopole d’Areva au Niger, proche de la frontière malienne), or, bauxite, fer, etc. Ceci explique pourquoi les médias ne cessent de parler d’insécurité régionale, de menace jihadiste, comme de narcotrafic. L’Africom (nouveau Commandement africain de l’armée US) n’a-t-il pas récemment organisé un exercice aérien conjoint avec l’armée malienne et formé certains de ses cadres ?

Si l’AQMI, Al-Qaïda au Maghreb islamique, n’existe probablement pas comme force centralisée, il est indéniable que certains petits groupes jihadistes mènent des opérations terroristes au Sahel. Ansar Dine, d’obédience salafiste, qui est une force combattante implantée, dont le chef avait été l’un des dirigeants de la rébellion touarègue de 1990-1995, ne peut pas leur être assimilé. Ceci dit, les exactions que les groupes intégristes font subir aux populations civiles sont indéniables. Mais les forces du MNLA seraient encore en mesure de les combattre sur le terrain – et l’ont même proposé – pour autant que leurs revendications autonomistes soient prises en compte.

On le voit, l’intervention militaire de la France ressemble furieusement à celle du pompier pyromane. Responsable des atrocités de la colonisation, de la « violence atmosphérique » de ses institutions (Franz Fanon), des structures prédatrices de son économie, mais aussi du caractère trompeur de la décolonisation, l’ex-métropole entend réaffirmer les prérogatives de la Françafrique en piétinant une nouvelle fois les intérêts des peuples du Mali, de même que les revendications des Touaregs. En remettant en selle un pouvoir à sa solde à Bamako, elle entend aussi défendre ses intérêts face à la concurrence montante des Etats-Unis et de la Chine dans toute la sous-région. 

La gauche et les mouvements sociaux maliens n’ont rien à attendre d’une telle intervention, si ce n’est le renforcement de leur asservissement. Il leur incombe au contraire, avec l’appui d’une solidarité internationale active, de combattre les vestiges de la colonisation (bases militaires françaises, accords économiques léonins, etc.), le pouvoir exorbitant des grandes compagnies étrangères, les réseaux mafieux internationaux et leurs relais locaux, mais aussi la surexploitation des paysans et la misère des masses urbaines, aggravée depuis une vingtaine d’années par les plans d’ajustement et autres mesures du même type. Un tel programme suppose l’unité des peuples de la région sur la base d’un programme social et démocratique, du principe de l’auto-détermination, mais aussi de la lutte contre les salafistes de tout poil et leurs politiques rétrogrades.

 

Jean Batou