Allemagne

Allemagne : Impasse électorale pour Die Linke

Après le Schlesswig-Holstein et la Rhénanie-Westphalie, le parti de la gauche radicale Die Linke vient de perdre sa représentation dans le parlement de Basse-Saxe et n’a plus de députation régionale, dans l’ancienne Allemagne de l’Ouest, qu’à Hambourg, Brême et en Sarre. Comment expliquer cette série de défaites électorales ?

Si l’on observe la situation allemande à travers le prisme du succès du « modèle allemand », on pourrait penser que les difficultés de la gauche radicale proviennent de la réussite sociale de l’économie allemande. La juste répartition des fruits de la croissance par le « capitalisme rhénan » musellerait toute velléité de contestation de l’ordre établi.

Or contrairement à ce qu’il se tait dans les médias dominants, la situation sociale en Allemagne – en général et pas seulement dans l’ancienne RDA – est fortement clivée. Ainsi en 2011, alors que le Produit national brut augmente de 3,9 %, le risque de pauvreté s’accroît en même temps de 4,1 %. Selon les derniers rapports, 12,4 millions de personnes courent ce risque, ce qui représente plus de 15 % de la population. L’espérance de vie des Allemand·e·s les plus pauvres, c’est-à-dire touchant moins de 75 % du revenu moyen, a diminué de 2 ans (de 77,5 ans à 75,5 ans) entre 2001 et 2010. En ex-RDA, pour la même catégorie de population et pour la même période, cette espérance de vie a diminué de 3,8 ans (de 77,9 ans à 74,1 ans).

A l’autre bout de l’échelle, malgré la crise bancaire, les 10 % les plus riches de la population détiennent 66,6 % de la fortune totale, le 1 % le plus riche un énorme 36,8 % et le pour mille le plus riche déjà 22,5 %. Autrement dit, le 1 % de la population possède plus de 2,6 mille milliards d’euros. En comparaison, malgré un endettement en hausse, la dette publique allemande n’atteint que 2,2 mille milliards.

Cette polarisation sociale ne débouche toutefois pas sur des mouvements sociaux et politiques d’ampleur. Certes, le principal parti de la bourgeoisie allemande, la CDU d’Angela Merkel, se ramasse des vestes électorales au niveau régional. Mais aucune solution de rechange crédible ne se profile à l’horizon. Surtout pas du côté de la social-démocratie (SPD), dont le candidat, Peer Steinbrück, ancien ministre des Finances de Merkel, finirait par rendre sympathique même DSK. Le SPD est traditionnellement soutenu par la grande majorité de la direction de la principale confédération syndicale, le DGB.

 

Rompre ou conforter la «gauche» rose-verte?

Au lendemain de la défaite aux élections de Basse-Saxe, la coprésidente de Die Linke, Katja Kipping, explique justement, dans un entretien avec la Frankfurter Rundschau (28.1.2013), qu’elle est due à la perte de nombreux électeurs et électrices, passés à l’abstention. Mais lorsque le journaliste lui dit que c’est l’absence de perspective gouvernementale qui gêne Die Linke, en citant la remarque d’un dirigeant social-démocrate, Sigmar Gabriel, pour qui chaque voix pour Die Linke ou le Parti des pirates est une voix perdue, Katja Kipping répond que visiblement Sigmar Gabriel ne sait pas compter et que lorsqu’il s’agira d’élire le chancelier, le SPD devra discuter avec Die Linke. Autrement dit, elle se situe clairement dans une perspective électoraliste de soutien au futur (?) gouvernement du SPD. Evidemment, ce n’est pas cette seule déclaration qui compte, mais bien le fait qu’elle vient à la suite de nombreuses autres. Alors que la question, bien plus fondamentale, est de savoir si un processus de changement radical de la société, pourtant postulé par le programme d’Erfurt adopté en 2011 par Die Linke, s’engage ou non.

En institutionnalisant constamment son discours et ses propositions, le mouvement de la gauche radicale entretient la confusion avec la « gauche » rose-verte plus qu’il ne la dissipe. Or il ne saurait y avoir deux social-démocraties dans un seul espace politique. Et la préférence de l’électorat ira toujours à l’original plutôt qu’à la copie, même passée au vermillon.

Dans le même entretien, l’impasse stratégique de Die Linke devient manifeste lorsque Katja Kipping souligne que la gauche radicale a des positions fondamentales à défendre, mais qu’elle oublie de dire que la conclusion naturelle de ces positions – les deux principales étant le refus de toute guerre et le retrait des réformes néolibérales du marché du travail dites Hartz IV –, c’est l’impossibilité d’une collaboration avec le SPD. Du reste, la campagne électorale en Basse-Saxe de Die Linke n’a pas évoqué ces deux revendications.

On comprend dès lors que l’aile anticapitaliste de Die Linke s’alarme de cette politique de «fayotage» à l’égard du SPD, prédisant que la poursuite de ce qui lui apparaît comme une «faute cardinale» mènera tout droit au désastre électoral lors des élections fédérales de cet automne. 

 

Daniel Süri

 

 

————————————-

Le Parti des pirates vu par Katja Kipping

 

Dans le même entretien avec la Frankfurter Rundschau,K. Kipping répond à la question du journaliste qui lui demande si Die Linke peut faire son miel du déclin du Parti des pirates:

«Les Pirates ont rassemblé des voix de gauche et des votes de protestation, sans être à gauche. Le président du Parti des pirates s’est lui-même qualifié de libéral. Nombreux sont ceux et celles qui les avaient imaginés plus progressistes. A ceux-là, je dis: si vous voulez un parti de flibustiers au parlement, qui prenne aux riches et donne aux pauvres, vous devez voter pour nous. Störtebeker (pirate allemand de légende, réd.) serait aujourd’hui membre de Die Linke.L’attitude des Pirates à l’égard des femmes n’est pas non plus très progressiste: On pourrait dire méchamment que les Pirates sont une sorte de FDP (parti libéral, réd.) avec des smartphones, mais sans membres féminins. Nous sommes beaucoup plus féministes.»