Gaz et pétrole de schiste, une bataille clef pour la transition écologique et sociale

Notre rédaction s’est entretenue avec Maxime Combes, membre d’Attac France et de l’Aitec (Association internationale de techniciens, experts et chercheurs) engagé dans le projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)

Est-ce que le gaz de schiste est une alternative énergétique propre

 

Par la très grande quantité d’eau et de produits chimiques qu’elle nécessite, la fracturation hydraulique, seule technique disponible pour exploiter les hydrocarbures de schiste, est très polluante et destructrice de l’environnement. Une bonne partie des produits chimiques injectés ne sont pas récupérés et peuvent migrer vers d’autres couches du sous-sol, y compris des nappes phréatiques. L’eau remontée à la surface se charge de métaux lourds et d’autres produits chimiques, voire radioactifs, qu’on ne sait pas ou qu’on ne peut pas traiter, polluant les sols et les cours d’eau de surface. La dévastation des territoires est accentuée par le nombre conséquent de camions, de routes, de sites de forage et d’infrastructures que nécessite l’exploitation des gaz et pétrole de schiste. Par ailleurs, les fuites de méthane occasionnées par l’usage de la fracturation hydraulique rendrait le gaz de schiste plus émetteur de gaz à effet de serre que le charbon, accroissant le réchauffement climatique mondial. 

 

 

Les États Unis sont à l’avant-garde de l’exploitation. Quel bilan peut-ont tirer de cette expérience?

 

Comme le montrent de nombreuses études scientifiques, des films (comme Gasland I et II), les témoignages des riverains, l’exploitation industrielle des hydrocarbures de schiste a pollué de nombreux cours d’eau, nappes phréatiques et terrains agricoles ou forestiers, tout en générant des conséquences sanitaires (cancers, infections, maladies diverses…) graves. De vastes régions deviennent dépendantes d’une frénésie extractive exigeant de forer toujours plus de puits pour rentabiliser les puits de l’année précédente, créant une véritable bulle financière et énergétique insoutenable.

N’étant pas à un paradoxe près, les Etats-Unis extraient du gaz de schiste au Texas ou en Pennsylvanie, alors qu’ils le brûlent sous forme de torchères au Dakota du Nord, là où est exploité le pétrole de schiste. Le développement des gaz et pétrole de schiste aux Etats-Unis bloquent toute possibilité de transition énergétique, maintenant la très forte dépendance de l’économie américaine aux énergies fossiles. Si les Etats-Unis sont fiers d’être redevenus exportateurs nets de produits pétroliers, c’est au prix de conséquences écologiques, sanitaires et économiques qui fragilisent la survie et la résilience des populations.  

 

 

Quels pays d’Europe exploitent aujourd’hui cette énergie?

En Europe, la projection de Gasland et le travail citoyen d’information sur les conséquences désastreuses de l’exploitation des gaz et pétrole de schiste ont été des outils majeurs d’alerte des citoyens pour bloquer, retarder ou compliquer le lancement des travaux de recherche ou d’exploitation des hydrocarbures de schiste. Ces travaux ont débuté principalement en Pologne et au Royaume-Uni, bien aidés par des gouvernements extrêmement favorables : en Pologne les opposant·e·s sont systématiquement accusés de rouler pour Gazprom tandis que le gouvernement britannique a promis aux industriels «le régime fiscal le plus généreux de la planète». Si les explorations effectuées en Pologne ont été décevantes, poussant certaines compagnies à se retirer du pays, et si les premiers forages ont engendré de nombreux tremblements de terre au Royaume-Uni, industriels, gouvernements et autorités européennes semblent déterminés à promouvoir les gaz et pétrole de schiste comme une ressource à exploiter, concourant à une fantasmée indépendance énergétique.  

 

 

Existe-il un mouvement d’opposition? Quels sont les secteurs sociaux qui se mobilisent et quelles sont  leurs revendications?

 

Hormis en Chine, tous les pays ayant développé des projets d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures de schiste se confrontent à des populations locales extrêmement rétives à sacrifier leurs territoires et leur survie pour une industrie qui ne leur fournira ni les emplois ni la prospérité promis. Qu’ils soient paysan·n·es, pêcheurs, chasseurs, profes­sion­nel·le·s du tourisme, habi­tant·e·s des régions rurales ou péri-urbaines convoitées, ce sont des milliers de personnes qui dans chaque pays s’informent, se forment et se mobilisent sur ces enjeux écologiques, sociaux, énergétiques, politiques. Bien qu’ayant des ampleurs variées, ces mouvements ont obtenu un certain nombre de succès puisque la fracturation hydraulique a été interdite ou fait l’objet de moratoires ou restrictions dans plusieurs centaines de lieux sur la planète *. Nous travaillons actuellement à coordonner ces différentes luttes nationales ou locales pour qu’elles se renforcent mutuellement, notamment à travers des rencontres organisées lors du Forum Alternatif Mondial de l’Eau à Marseille, du sommet des Peuples lors de Rio+20 ou du récent Forum Social Mondial à Tunis. Car, comme le disent les collectifs citoyens contre les gaz et pétrole de schiste en France, c’est « ni ici, ni ailleurs, ni aujourd’hui, ni demain ».

 

 

Quels sont les enjeux à venir?

 

Le 19 octobre prochain, nous allons organiser la seconde journée mondiale de mobilisation contre la fracturation hydraulique, le Global Frackdown Day (globalfrackdown.org). La première édition avait regroupé près de 150 actions dans 20 pays. L’objectif est de faire mieux. Et ce dans une perspective de convergence des luttes puisque cette date a été retenue lors du dernier Forum Social Mondial comme une journée de mobilisation internationale contre toutes les formes d’extractivisme, et parce qu’il faut stopper la fuite en avant dans les énergies fossiles si l’on veut avoir une chance d’entamer une transition écologique et sociale à l’échelle planétaire. 

 

Propos recueillis pour « solidaritéS » par Juan Tortosa

 

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* « Gaz et pétrole de schiste : tour d’horizon d’une mobilisation citoyenne internationale », http://alter-echos.org/extractivisme-ressources-naturelles/gaz-et-petrole-de-schiste-tour-dhorizon-dune-mobilisation-citoyenne-internationale