Brésil

Brésil : Grève générale à l'université de Sao Paulo

L’Université de São Paulo (USP) connait depuis le 1er octobre l’une des grèves les plus importantes de son histoire. Le mouvement, lancé par la Faculté des relations internationales, entend protester contre le manque de démocratie du système institutionnel.

 

Avec plus de 82 000 étu­diant·e·s inscrits, l’USP est la plus grande université d’Amérique latine. Elle est organisée en un Conseil universitaire – le plus grand organe délibératif – composé par moins de 1 % de la communauté universitaire, en majorité des professeurs ordinaires, qui ne représentent qu’une part infime des enseignants?; il ne compte ni étu­diant·e ni repré­sen­tant·e du personnel. L’une des tâches du Conseil est la désignation d’un recteur. Il soumet une liste de trois candidats au gouverneur de l’Etat, à qui revient le dernier mot. Par ailleurs, le fonctionnement de l’USP permet à la direction de prendre des mesures autoritaires sans avoir à rendre de comptes au reste de la communauté universitaire.

 

Un recteur à poigne

 

L’actuel recteur de l’USP, João Grandino Rodas, est très contesté, et ce depuis son entrée en fonction en 2011. En plus d’avoir été nommé recteur par le gouverneur quand bien même il n’était que deuxième sur la liste proposée par le Conseil universitaire, plusieurs des mesures qu’il a prises ont fait l’objet de plaintes, telles que des suppressions d’emplois, des privatisations et l’externalisation de services de l’Université. Celle-ci a notamment ouvert des bureaux dans d’autres villes afin d’attirer des étudiants étrangers au détriment des étudiants brésiliens. Le recteur a aussi voulu faire adopter une loi jouant le rôle de filtre social, ou encore décidé d’installer des portillons de sécurité à l’entrée de certains bâtiments.     

L’une des mesures les plus marquantes a toutefois été de laisser la Police militaire (PM) – héritage de la dernière dictature au Brésil – contrôler l’Université, en lui remettant la gestion de la sécurité de l’établissement. Autant dire qu’aucun des problèmes que connait l’Université et son campus n’ont été réglés, seuls le sentiment d’insécurité dans le mouvement étudiant et le risque de dérapages (on sait ce dont la PM est capable !) ont augmenté. Après tout, Rodas n’a pas hésité à réprimer une mobilisation étudiante en automne 2011, organisée à la suite de l’arrestation d’étudiants, en envoyant près de 400 policiers anti-émeute.  

Cette présence militaire au sein de l’institution rappelle la dictature, époque pendant laquelle tous les mouvements d’opposition, y compris dans les universités, étaient violemment réprimés.

 

L’occupation légalisée 

 

Les revendications du mouvement sont multiples?; d’une part, une élection directe et paritaire du recteur, et donc la dissolution du Conseil universitaire, l’idée étant de mettre en place une direction tripartite, qui permettrait notamment aux étudiants de s’exprimer davantage. Par ailleurs, les étudiants réclament le désengagement du gouverneur de l’Etat, Gerlado Alckmin, de la politique de l’Université?; sa politique libérale, sécuritaire et réactionnaire est la cible régulière des critiques des mouvements sociaux brésiliens, comme cela fut le cas au moment de l’importante vague de protestations du mois de juin. 

Rodas a tenté de faire appel à la justice pour qu’elle autorise la PM à chasser les ma­ni­fes­tant·e·s qui occupaient le bâtiment de l’administration?; la justice a cependant reconnu, pour la première fois, que l’occupation était une manifestation politique, ce qui signifie que le mouvement a été jugé légal. Toutefois, comme cela a été le cas le 19 octobre, cette décision n’a toujours pas été respectée par Rodas, soutenu par Alckmin, sur l’ordre duquel la PM a envahi le campus afin d’essayer de déloger les étudiants occupants le rectorat, heureusement sans succès. 

Hormis les assemblés qui ont lieu régulièrement, les étudiants organisent de nombreuses activités, que ce soient des débats sur des questions de société (par exemple les violences faites aux femmes), des conférences traitant de thèmes comme la démocratie, les moyens de lutte ou encore l’histoire de la gauche sous la dictature. La grève est donc le lieu d’une véritable éducation civique?; les étudiants sont confrontés à une nouvelle dynamique qui les pousse à discuter, à réfléchir et à travailler ensemble afin de défendre leurs intérêts et surtout leurs droits. 

A l’heure où j’écris ces lignes, la grève touche à sa fin. Dans certaines facultés, les directions ont ouvert des négociations, ce qui devrait permettre de mettre en place des changements à un niveau inférieur, ce qui est déjà une victoire importante. Toutefois, l’audience publique avec le rectorat n’a pas encore eu lieu, Rodas s’étant jusqu’à maintenant défilé à chaque fois.

Cette grève fait écho aux nombreuses autres grèves et luttes qui secouent actuellement le Brésil, comme celles des enseignants du public à Rio, qui protestent contre des salaires de misère et des plans antisociaux, ou encore des travailleurs du pétrole, qui dénoncent la privatisation de leur secteur. Au Brésil, les mobilisations sont définitivement de retour. 

 

Camille de Félice

(Intertitres de la rédaction)