Un manifeste qui tombe à pic!

Dans le « Manifeste pour un nouveau contrat social » qu’il vient de publier aux éditions L’Harmattan, Christian Tirefort renouvelle radicalement les concepts de la gauche, jetant ainsi les bases, en termes de contenus, d’une alternative à ce capitalisme qui nous conduit droit dans le mur. Bien loin de s’en tenir à une critique du capitalisme comme c’est le cas de la plupart des analyses de la gauche radicale, l’auteur construit un ensemble de concepts interdépendants qui font sens et nous projettent au-delà du système actuel.

Il ne s’agit pas d’une « utopie » au sens d’une tentative de s’abstraire des rapports réels par une fuite dans l’imaginaire. Au contraire, l’auteur s’efforce de repérer les éléments bien présents dans les rapports réels sur lesquels on doit s’appuyer – et dont il faut libérer les potentialités – si l’on veut transformer la société. De même que pour « casser des briques » avec le tranchant de la main, il faut viser non pas la brique, mais au-dessous de celle-ci, de même pour rompre avec le capitalisme, il faut viser au-delà de celui-ci. En d’autres termes, il ne suffit pas d’être « contre » le système car cela nous enferme dans le cadre des idées et rapports dominants, il faut penser des contenus alternatifs, des pistes pour une rupture en positif. En construisant cet ensemble de concepts qui transcendent le cadre actuel, Christian Tirefort peut en retour nous livrer une critique d’autant plus radicale et subversive du capitalisme, fournissant ainsi de précieux éléments pour l’élaboration d’un programme politique.
Voyons quelques-uns de ces concepts (on pourrait en citer d’autres, tels que le bien commun, la démocratie conséquente, la richesse, le salariat, la plus-value, la mutualisation, les classes sociales, les peuples, etc. De plus, certains chapitres traitent de la débâcle écologique, du féminisme, de la mondialisation et des Etats/nations, etc.) :

 

Le travail

 

C’est le premier d’entre eux. L’auteur le distingue clairement de « l’emploi capitaliste », donc de ce qu’en fait le capital. Pour l’auteur, le travail est la « faculté de faire » présente en chacun d’entre nous. Christian Tirefort privilégie « l’être » et non « l’avoir ». Pour lui, c’est le travail, comme capacité historiquement constituée de produire un surplus social constant grâce aux progrès de la productivité du travail, qui constitue la richesse même, non l’accumulation de capital ou de marchandises.

C’est pourquoi il est faux de dire « qu’il n’y a pas de travail ». La vérité, c’est que le rapport capitaliste est trop étriqué pour accueillir la « faculté de faire » de toutes et tous. Le filtre du profit et les rapports de marché sélectionnent qui sera intégré dans « l’emploi capitaliste » et qui en sera exclu. Les premiers seront exploités et soumis à des conditions de plus en plus oppressives, puis largués s’ils ne correspondent plus aux objectifs de rentabilité. Les seconds seront ignorés et considérés quasiment sans besoins.
De même, si le travail comme faculté de faire est la richesse, il est aberrant de parler du « coût du travail », il faudrait bien plutôt parler du « coût du capital », à savoir l’ensemble des valeurs confisquées par le capital au détriment du travail et des besoins des populations.
Dans son concept de « travail », l’auteur prend en compte la totalité du travail humain, rémunéré ou non. Il intègre ainsi le travail de reproduction indispensable au fonctionnement de la société assumé aujourd’hui pour l’essentiel par les femmes?; il préconise que celui-ci soit dans toute la mesure du possible socialisé, donc salarié, contrairement aux politiques actuelles de la plupart des gouvernements qui procèdent à des coupes sombres dans les services publics essentiels, rejetant ainsi de nombreuses charges dans la sphère privée, principalement au détriment des femmes. L’auteur considère de plus que hiérarchie de classe et patriarcat sont des structures de domination qui s’imbriquent étroitement, même si le livre cible avant tout la première.

 

La productivité du travail

 

Christian Tirefort la considère comme un patrimoine de l’humanité. Elle est liée à la coopération et au développement des savoirs et savoir-­faire. Il considère les processus de travail comme le moteur de l’histoire. De tous temps, les peuples ont lutté pour vaincre la précarité. La productivité du travail qui s’est développée historiquement génère désormais « un surplus social » constant, potentiellement de plus en plus important, qui permettrait de vaincre la rareté et d’améliorer les conditions de vie de l’humanité tout entière. Ce sont les rapports capitalistes, en particulier la compétition de tous contre tous et la loi du profit, qui maintiennent artificiellement la rareté.

 

Le surplus social

 

L’auteur refuse d’identifier surplus social et profit capitaliste. Pour lui, le surplus social est aussi constitué des infrastructures publiques et des services publics essentiels, des systèmes d’assurances sociales développés dans l’après-guerre, des investissements productifs des entreprises autogérées. De plus, pour lui, le surplus social ne saurait être réduit aux biens matériels. Conformément à sa conception du travail comme constituant la richesse, le surplus social est aussi incorporé dans les corps et les facultés de faire des individus, en termes de formation ou d’amélioration de la santé et de l’espérance de vie qui doivent aussi être considérés comme des biens communs.

 

La coopération

 

Dans le capitalisme, cette coopération existe bel et bien, mais il s’agit d’une coopération pervertie car soumise au rapport d’exploitation et enfermée dans une hiérarchie de classe, soumise aussi aux rapports de compétition féroces entre capitalistes qui se battent pour arracher la plus grande part possible du profit, que celui-ci soit généré sur le plan local ou au niveau mondial. Aujourd’hui, tant le travail que la coopération sont sous la férule du capital. Grâce à ce dernier, la classe dominante détient un quasi-monopole de la mise en œuvre du travail. Pour avoir leur destin en main, les peuples doivent se libérer de ce monopole et conquérir le contrôle de leurs activités et de leurs rapports de coopération.

En bref, le « Manifeste pour un nouveau contrat social » renouvelle la pensée de la gauche, il faut le lire en toute priorité.

 

Eric Decarro

 

Le livre peut être commandé dans toute librairie?; il est en dépôt aux librairies Fahrenheit, du Boulevard, Rameau d’Or à Genève, Bastá à Lausanne.

Christian Tirefort est ancien président national du syndicat CoMedia en Suisse, militant politique et altermondialiste de longue date.