Révolte ouvrière dans les arrières-boutiques cambodgiennes de Nike et H&M

Le 23 décembre, les quelques 650 000 salarié·e·s du secteur du textile cambodgien, parmi lesquels une forte proportion de femmes et 60 % de syndiqué·e·s, ont débuté une grève générale, exigeant la fixation d’un salaire minimum à 157 dollars par mois, contre 75 actuellement.

La très forte croissance du secteur textile dans le pays ces deux dernières décennies, qui représente 80 % des exportations cambodgiennes, n’a pas pour autant sorti les tra­vail­leurs·euses de la misère. Un salaire minimum de 75 dollars – par ailleurs obtenu de haute lutte lors d’une première grève générale en 2010 – se situe en effet largement au-dessous du niveau dit de subsistance défini par l’Organisation internationale du travail.

Les syndicats estiment ainsi que 4 000 em­ployé·e·s du secteur se sont évanouis sur leur lieu de travail ces deux dernières années en raison de la sous-alimentation. L’autocrate qui dirige le Cambodge depuis 28 ans, Hun Sen, a d’abord paru vouloir négocier. Mais les revendications plus radicales rapidement affichées par les manifestant.e.s demandant sa démission, et soutenues par l’opposition politique, l’ont amené à changer brutalement d’attitude.

Le 2 janvier, la police et l’armée ont ouvert le feu sur des manifestant·e·s qui, depuis le 23 décembre, avaient défilé de manière pacifique. La répression a fait au moins 4 morts et 23 blessés graves, plusieurs syndicalistes ont été arrêtés et le droit de manifester suspendu. Malgré la répression, la mobilisation a déjà payé – quoique de manière limitée – le gouvernement s’étant engagé à augmenter le salaire minimum à 100 dollars.

Les syndicats ont arrêté le mouvement le 7 janvier, mais appellent à de nouvelles manifestations pour le 14, jour où le porte-parole du principal parti d’opposition est assigné au tribunal pour « incitation à la grève. »Le secteur du textile cambodgien est essentiellement composé d’entreprises sous-traitantes de grandes marques occidentales, tels Adidas, Gap, H&M, Nike, Levi’s, Zara. De même que celui de la Chine ou du Bangladesh, il appartient ainsi à la chaîne productrice et marchande qui s’étire des camps de coton de l’Asie du Sud vers les maisons de vente au détail du monde atlantique.

Comme le souligne à ce propos l’historien indien Vijay Prashad, auteur d’une importante étude sur la mondialisation capitaliste dans les pays les plus pauvres (The Poorer Nations: A Possible History of the Global South, Verso, 2013), «les grandes entreprises productrices de vêtements ne sont guère intéressées à investir directement dans des usines, préférant se tourner vers des sous-traitants, leur offrant de très faibles marges comme profit, pour qu’ils soient contraints de diriger ces usines comme des prisons de travail. Le régime de sous-traitance permet à ces entreprises de nier toute responsabilité pour ce qui est fait par les propriétaires réels de ces usines, leur permettant de jouir des bénéfices de produits bon marché sans que leurs consciences soient tachées par la sueur et le sang des travailleurs·euses. Cela permet également aux consommateurs·trices du monde atlantique d’acheter une grande quantité de marchandises… sans se préoccuper des méthodes de production.» HB