Occupy, salaire minimum et initiatives socialistes aux Etats-Unis

L’élection de Bill de Blasio à la mairie de New York et la victoire de Khsama Sawant à Seattle ont marqué un premier frémissement dans la politique US (voir sol. nº 239 et 241). Plus récemment, la fondation d’une organisation politique indépendante par le syndicat des enseignants de Chicago et la campagne de Dan Siegel à Oakland suggèrent que quelque chose de nouveau et d’important est en train de se produire à l’échelle du pays.

Au printemps 2012, les 26 000 membres du syndicat des enseignants de Chicago (CTU) se sont mis en grève, provoquant la fermeture des écoles de la troisième plus grande ville des Etats-Unis, qui accueillent 350 000 enfants. Cette grève a dressé le syndicat contre le maire de Chicago, Rahm Emanuel, ancien chef de cabinet de la Maison Blanche sous la présidence de Barack Obama. Plus généralement, elle ciblait Arne Duncan, Secrétaire d’Etat à l’éducation, qui a encouragé les charted schools [écoles privées laïques subventionnées par les collectivités publiques] et défendu l’harmonisation des programmes et des épreuves scolaires au plan national. Duncan avait été jusqu’ici le patron des écoles publiques de Chicago, désigné par le maire Richard M. Daley, lui-même fils du fameux Richard J. Daley, qui avait dirigé la ville pour le Parti démocrate, de 1955 à 1976, et même organisé, à en croire de nombreux témoignages, la fraude qui a permis à John F. Kennedy de gagner les élections de 1960.

 

Du combat syndical à la lutte politique

Les enseignants de Chicago se sont opposés à la politique scolaire de Duncan et ont fait front face au maire Emanuel par une grève de plus d’une semaine qui a gagné le soutien d’autres syndicats, des associations des diverses communautés, des parents et des élèves. Ce fut – bien que personne ne l’ait revendiqué alors – une grève contre le Parti démocrate, menée par un syndicat qui appartenait à la coalition du monde du travail qui appuyait historiquement les démocrates, et par les enseignants qui votent en majorité pour eux. Et ce qui a commencé comme une grève se poursuit maintenant comme une rébellion politique qui menace de défier le Parti démocrate dans l’un des ses principaux fiefs nationaux.

Au début du mois de janvier, le CTU a voté pour créer une organisation politique indépendante. La résolution adoptée «décide que le Syndicat des enseignants de Chicago (CTU), lance une organisation politique indépendante avec des alliés importants des secteurs progressistes du mouvement des travailleurs et des associations des communautés, capables de porter des campagnes électorales et législatives fortes au profit des familles laborieuses, de nos membres actifs et retraités, ainsi que de nos communautés». Le CTU soutiendra celles et ceux qui combattent pour la justice sociale. Cela pourrait être des démocrates élus, de nouveaux candidats démocrates, mais aussi des indépendants. Il n’est pas dit ce qu’ils-elles seront.

 

Vers une alternative socialiste à Chicago?

L’idée qu’un syndicat-clé d’une grande ville puisse rompre avec le Parti démocrate et soutenir ses propres can­di­dat·e·s aux élections est quelque chose d’inconnu dans la politique états-unienne. Dans tout le pays, pratiquement tous les syndicats importants soutiennent les démocrates, gèrent les appels téléphoniques aux élec­teurs·trices, vont frapper à leurs portes et les et les incitent à voter le jour J. Bien qu’on ne sache pas exactement ce que la nouvelle organisation politique du CTU va faire, il est possible qu’elle soutienne des can­di­dat·e·s indépendants. Si ce syndicat était capable de recréer au niveau politique la solidarité qu’il a su développer sur les lieux de travail et de soutenir même un can­di­dat·e indépendant, cela pourrait marquer un développement important. Certains ont ainsi suggéré que la présidente du CTU, Karen Lewis, une afro-américaine, se porte candidate contre le maire Emanuel.

Au même moment, un groupe d’environ 80 socialistes de différentes organisations de Chicago, inspirés par la victoire électorale de Khsama Sawent à Seattle (cf. solidaritéS, nº 239), se sont réunis pour explorer la possibilité d’une candidature socialiste aux prochaines élections de leur ville. Ce groupe s’est mis au travail depuis novembre dernier, formant des comités pour rédiger une déclaration d’intention et une plateforme, mais aussi évaluer de possibles candidatures, trouver des financements et des avis légaux. Comme à Seattle, leur projet de plateforme socialiste place l’élévation du salaire minimum horaire à 15 $ au centre des revendications. Jusqu’ici les activistes engagés dans cette démarche viennent presque entièrement de la gauche socialiste blanche. Pourtant, il sera indispensable de gagner le soutien des Latinos et des Afro-­Américain·e·s pour que la campagne ait des chances de succès.

 

Candidature de gauche à la mairie d’Oakland

Il y a du nouveau aussi à San Francisco où, au début du mois de janvier, Dan Siegel, un avocat et militant de gauche connu depuis longtemps, a annoncé qu’il se portait candidat à la mairie d’Oakland. Depuis les années 60, la baie de San Francisco a été l’une des régions les plus radicales du pays, que ce soit pour ses syndicats, pour son mouvement LGBT, ou pour le militantisme de ses communautés ethniques. La maire actuelle d’Oakland, Jean Quan, issue de la gauche maoïste, a été élue sous les couleurs démocrates. Lorsque le mouvement Occupy s’est installé sur une place de la ville, son chef de la police a envoyé ses hommes pour évacuer le site en usant de gaz lacrymogènes, de balles de caoutchouc et de grenades assourdissantes. Or, Quan a félicité le chef de la police pour sa résolution pacifique de la situation, ce qui a amené Siegel, l’un de ses conseillers bénévoles, aussi d’origine maoïste, à rompre avec elle.

Jusqu’ici, Siegel semble se présenter comme indépendant et sa revendication centrale de campagne vise à relever le salaire minimum horaire à 15 $. Il appelle aussi à renforcer la sécurité d’Oakland, non par un déploiement policier accru, mais par l’amélioration des conditions de vie de ses ré­si­dent·e·s. Il a annoncé sa candidature, entouré par des leaders syndicaux et communautaires qui ont déclaré leur soutien. Sa page Twitter le présente comme «un militant issu des années 60 et un avocat de gauche. Un aventurier du plein air. Un homme engagé pour mettre fin au règne du capital».

Oakland, une ville à dominante ouvrière et afro-américaine, dans la baie de San Francisco, a été le théâtre des actions les plus massives et les plus significatives du mouvement national Occupy, lorsque des milliers d’activistes ont réussi à bloquer l’un des principaux ports du pays, en novembre-décembre 2011. Les protestations des Afro-­Américain·e·s contre le meurtre d’Oscar Grant, le jour du Nouvel An 2009, par la police de la circulation, et le mouvement Occupy de 2011 ont conduit à la mobilisation de milliers de personnes et à la création d’un puissant noyau militant dans la région de la Baie de San Francisco, qui dispose de longues traditions de gauche.

 

Dan la Botz