Nouvelle libéralisation des heures d'ouverture des commerces en vue

Début février, le Conseil fédéral a lancé une nouvelle procédure de consultation (après celle sur la motion Abate qui vise à libéraliser les ouvertures dominicales dans les zones frontalières) concernant un nouvel élargissement du cadre horaire des magasins.

Cette fois-ci, le Conseil fédéral propose une Loi fédérale sur les heures d’ouverture des magasins (LOMag) qui se veut la mise en œuvre de la motion déposée par le parlementaire tessinois Lombardi intitulée «?Force du franc. Harmonisation partielle des heures d’ouverture des magasins.»

Sous prétexte d’une augmentation des achats transfrontaliers (appelés tourisme d’achat) liés à la force du franc il y a 3 ans, le projet vise à créer une législation fédérale obligeant l’ensemble des cantons à revoir leur politique en matière d’heures d’ouverture des commerces pour autoriser les magasins à ouvrir au minimum tous les jours de semaine de 6 h du matin à 20 h le soir et les samedis de 6 h à 19 h.

 

Le libre marché n’est pas l’ami de la démocratie

Nous avons pu constater il y a quelques semaine qu’avec la motion Abate que les intérêts des grands commerçants sont peu soucieux des droits démocratiques en tentant d’introduire une libéralisation des ouvertures dominicales sans possibilité de lancer un référendum (car en opérant uniquement sur un changement d’ordonnance et non un changement de loi).

Avec ce projet de LOMag, nous avons une nouvelle illustration du fait que liberté économique ne rime pas avec démocratie.

En l’occurrence, devant les échecs répétés au niveau cantonal de toute une série de tentatives de libéralisation (1), les grands commerçants ont fait pression pour imposer par en haut (via une législation fédérale) ce qui a été refusé par en bas (lors de référendums cantonaux). Si un référendum national sera possible contre la LOMag (contrairement au projet lié à la motion Abate), les partisans de la LOMag comptent sur les voix des cantons qui ont déjà un horaire permettant les 6h00-20h00 pour faire la différence. Il faut dire que les cantons en question (entre autres Zürich, Bâle-Campagne et Argovie) pèsent lourd en matière démographique.

La LOMag constitue donc en elle-même un nouveau contournement des droits démocratiques et des volontés populaires exprimées à réitérées reprises. Il est à ce titre remarquable de lire le rapport explicatif du Conseil fédéral sur la LOMag : il passe comme chat sur braise sur ces votations… La satisfaction des besoins de l’économie vaut bien quelques oublis quant au fonctionnement démocratique.

 

Des prétextes fallacieux d’améliorer la concurrence face au tourisme d’achat

Le principal argument de la LOMag est qu’elle constituerait un frein au tourisme d’achat, notamment dans les régions frontalières et serait donc favorable à l’emploi.

Cet argument ne résiste pas au premier examen critique. Il faut relever d’une part que le tourisme d’achat, même au pic du francs fort, n’a pas créé de crise dans le commerce de détail ni eu d’impact sur l’emploi. A Genève par exemple le nombre de demandeurs d’emploi dans le commerce de détail est resté stable depuis la deuxième moitié des années 2000. D’autre part, le pic du franc fort date d’il y a trois ans et toutes les prospections économiques tablent sur une croissance stable des chiffres d’affaire du commerce de détail dans les zones frontalières et une baisse constante des achats transfrontaliers. C’est ainsi par exemple que Migros-Genève (qui n’a jamais réalisé d’exercices déficitaires ces dernières années) a vu son chiffre d’affaire 2013 augmenter alors même que Migros-Genève avait baissé les prix de ses articles ! Enfin, ce n’est pas la politique d’heures d’ouverture plus libérales qui attirent les clients de l’autre côté de la frontière.

Comme doit le confesser le rapport explicatif du Conseil fédéral qui cite une étude de 2012 ayant réalisé un large sondage, avec 81 % de réponse, c’est le prix des marchandises qui motive les achats transfrontaliers. Pour le cas du bassin genevois, une étude similaire avait d’ailleurs montré que les achats transfrontaliers s’effectuaient principalement les mercredis après-midis et les samedis… soit pendant les heures d’ouverture des commerces genevois.

La LOMag ne vise donc pas à renforcer le commerce suisse en général. Comme l’avoue le Conseil fédéral, c’est une loi taillée sur mesure pour et par les grands commerces qui pourront ainsi gagner de nouvelles part de marché sur le dos des petits commerçants les petits commerçants n’ont pas les mêmes possibilités et la même flexibilisation en termes d’organisation du travail, ce qui pourrait conduire à une accélération du phénomène que l’on observe déjà, à savoir la fermeture des petits commerces en faveur de surfaces commerciales plus importantes»)… et des sa­la­rié·e·s de la vente en particulier mais plus largement aussi.

Il est à ce titre remarquable de constater que le Conseil fédéral n’entend nullement accompagner l’allongement des horaires de protections pour le personnel de vente. Il renvoie le personnel au bon vouloir du patron quant à ses conditions de travail. «L’effet d’un allongement des heures d’ouverture sur les conditions de travail dépendra de la manière dont l’employeur réorganisera le travail. […] Les conditions de travail dépendront enfin de l’existence ou non de conventions collectives de travail, qui pourraient par exemple fixer une durée de travail hebdomadaire.» Il ne faudrait quand même pas que ces libéralisations entraînent des surcoûts pour les patrons multimilliardaires du commerce de détail (2) !

Face à un tel projet, il est urgent de commencer à organiser dans chaque région des comité référendaires larges réunissant partis, syndicats et associations. 

 

Joel Varone

 

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1 Rien que ces cinq dernières années des projets ont été refusés lors de référendum à Bâle-Ville, Fribourg, Argovie, Saint-Gall, Lucerne, Uri, Zürich, Genève avec un taux moyen de refus de l’ordre de 60 % de Non.

2 A la tête des Ikea, H&M, C&A, Lidl, Zara, Aldi, Bata et Cie qui n’offrent bien souvent que des salaires de misère en dessous des 4000 francs par mois se trouvent les plus grandes fortunes de Suisse et d’Europe.