Et si TAFTA était appliqué au Val-de-Travers?

Comment les règles d’un capitalisme débridé, élaboré à l’échelle transatlantique, s’expriment-elles à l’échelle locale ? – TAFTA, pour Transatlantic Free Trade Area, nouvelle arme de dérégulation massive actuellement en discussion entre Washington et Bruxelles (4e round), est un traité qui, entre autres, démultipliera la force des entreprises face aux Etats. Or le sol du Val-de-Travers est une pépite en hydrocarbures… et le réservoir d’eau de 110 000 personnes du canton de Neuchâtel. Petite extrapolation sur une confrontation locale entre intérêts de la population et logique d’entreprise capitaliste.

TAFTA ou la négation de l’intérêt général

Discuté en secret et dans l’opacité totale entre l’UE et les USA, pour des « raisons stratégiques », TAFTA se veut le condensé d’une logique ultralibérale de dérégulation entreprise dès 1990 pour standardiser le commerce mondial. Réalisé partiellement sous divers aspects par le droit de l’OMC, dont on connaît les ravages, TAFTA se veut être une sorte de « loi d’unification » qui optimisera le commerce transatlantique. Mais à quel prix ? – Comme d’habitude, c’est dans le détail que se cache le vice.

TAFTA propose 4 grands axes de « réforme » : création d’un marché commun de 820 mio de consommateurs / suppression des tarifs douaniers / harmonisation complète des réglementations commerciales / mise en place d’un mécanisme de règlement des différends entre les entreprises et les États. S’il ne semble, en apparence, n’y avoir rien de neuf dans ces propositions, le mécanisme de règlement des différends entre entreprises et États présente, en terme de droit, une attaque en règle contre les principes démocratiques et l’intérêt général.

Mais surtout, les États et les gouvernements seront désormais dépouillés du peu de moyens qu’ils leur restaient pour exercer un contrôle sur des entreprises jugées dangereuses, écologiquement ou socialement. Les moratoires, les effets suspensifs, mais aussi les lois, votées par le peuple, seront ainsi combattus par les entreprises devant un « tribunal arbitral international », création capitaliste aux mains d’avocats d’affaire privés, sensés être indépendants (!) et dont le but non-avoué est de se substituer au Droit international et aux Cours de justice européennes et américaines. TAFTA va atomiser les derniers liens qui unissaient encore le politique à l’économique, avec pour conséquence une grave atteinte aux droits civils et constitutionnels. A terme, une telle distorsion entre les intérêts privés et publics achèvera le crédit de toute politique économique.

 

Bien loin de Washington, les hydrocarbures ?du Val-de-Travers

Bien que la Suisse vient de briser le principe de libre-circulation et donc probablement l’ensemble des bilatérales, qui comptent un ensemble de traités conclus avec l’UE, qu’elle-même a concocté avec des tiers (dont les USA), la Suisse adhère souvent et rapidement aux nouveaux traités économiques internationaux. Si TAFTA est accepté par l’UE, la Suisse suivra sans broncher, ne serait-ce qu’en qualité de pays membre de l’OMC. L’extrapolation qui suit se rapproche donc de l’anticipation.

Voici quelques années, des hydrocarbures pris dans la roche ont été détectés au Val-de-Travers, hydrocarbures obtenus par fracking, comme le schiste, qui ont naturellement excités les grossistes en CO2 et autres prospecteurs toujours friands de nouveaux gisements. Les résultats de tels fractionnements de roches, au-delà de l’instabilité sismique qu’ils peuvent causer, entraînent des dégâts écologiques considérables, polluant nappes phréatiques et sols fertiles, quand les gaz ne sortent pas carrément du robinet ! Ces exemples sont connus. Or Noiraigue, lieu de prospection, contient en sous-sol les besoins en eau des 4/5 de la population neuchâteloise.

C’est donc d’un élan politique unanime que les autorités cantonales ont décrété un moratoire en novembre dernier, afin de protéger leur nappe phréatique. Un collectif, très actif et grâce auquel a été déposé une motion « Initiative communale interdisant la prospection et l’exploitation de gaz de schiste dans le sous-sol neuchâtelois », se bat toujours pour que ce moratoire de dix ans mène à une interdiction totale des forages dans le sol du Val-de-Travers. Et avec raison, car non seulement ce soutien unanime risque de se heurter aux appétits capitalistes locaux, mais surtout à TAFTA si celui-ci venait à être appliqué en Suisse. En effet que se passerait-il ?

 

Un scénario envisageable

La raréfaction des énergies, et plus particulièrement des énergies fossiles, pourrait conduire à considérer la prospection et l’extraction des hydrocarbures dans des zones écologiquement fragiles, au-delà de l’aspect financier primordial, comme une nécessité d’intérêt général. Ce faisant, les multinationales, dont les plus grandes se comptent dans le secteur des énergies, notamment pétrolières, n’hésiteront plus, au travers TAFTA, à porter plainte contre les gouvernements qui refuseraient de se plier aux injonctions. La commune du Val-de-Travers, pourrait donc être poursuivie devant un tribunal arbitral privé (ESDS), pour avoir refusé de laisser Exxon, Total ou autre, piller le schiste du sous-sol neuchâtelois et polluer les eaux du canton. Et vu la distorsion des moyens déployés par les multinationales pour nuire, face aux capacités d’un petit État à se défendre, il est plus que jamais nécessaire de dénoncer ces traités antidémocratiques et de les combattre.

 

Camille Jean Pellaux