Heures d'ouverture des magasins

Heures d'ouverture des magasins : Tous les arguments sont bons pourvu qu'on libéralise

Le Conseil fédéral a mis un terme à la consultation relative à son projet de Loi fédérale sur les heures d’ouverture des magasins (LOMag). Ce projet de loi répondait à la motion du parlementaire bourgeois Lombardi intitulée : « Force du franc. Harmonisation partielle des heures d’ouverture des magasins ». Le projet vise à créer une loi fédérale imposant des heures d’ouverture minimales des magasins, de 6 h à 20 h les jours de semaine et de 6 h à 19 h les samedis.

Derrière le terme lisse d’harmonisation partielle, il faut donc entendre un projet qui vise à forcer, par le biais d’une loi fédérale, les résistances exprimées dans certains cantons contre une généralisation des fermetures retardées des commerces.

En effet, depuis le début du millénaire, les tenants de la libéralisation ont perdu 13 référendums cantonaux sur 15. Le conseiller aux Etats tessinois, appuyé par les grands groupes du commerce de détail, a donc saisi en 2012 l’opportunité de la question du taux de change pour relancer le débat de la libéralisation.

Et qu’importe si aujourd’hui le franc suisse n’est plus comme en 2011 à parité avec l’euro, tous les arguments sont bons, pourvu qu’on libéralise.

 

Portes ouvertes plutôt que la clé sous le paillasson ?

 

Dans sa newsletter du 27 août 2014, la Chambre du commerce et de l’industrie de Genève titrait Portes ouvertes plutôt que la clé sous le paillasson. Voyons plutôt l’exemple concret d’un commerce alimentaire frontalier qui a dit être victime du tourisme d’achat, Migros Genève. La perte de chiffre d’affaire de la Coopérative entre janvier 2010 et décembre 2013 a été de 8,25 %. Toutefois, cette baisse doit être corrigée par la diminution des prix de son assortiment qui a atteint en moyenne 9 % durant ce même laps de temps. Par ailleurs, malgré cette réduction du chiffre d’affaire, tous les exercices annuels de Migros Genève ont été bénéficiaires. Encore en 2013, Migros Genève dégageait un bénéfice de 7,5 millions de francs : on est loin de la clé sous le paillasson.

Le souci exprimé de la sauvegarde de l’emploi et la menace du chômage pesant sur le personnel de vente s’il devait s’opposer à travailler plus tard le soir sont creux : le nombre de chô­meurs·euses dans ce secteur d’activité inscrits dans le canton de Genève n’a pas augmenté avec la crise du franc fort. Au contraire, il y avait plus de de­man­deurs·euses d’emploi inscrits dans le commerce de détail en 2004 (1240) qu’en 2012 (849). Et le nombre d’inactifs avant la crise (900 en 2010) est plus élevé que celui d’aujourd’hui (865 en juillet 2014). Entendre les employeurs se soucier des places de travail peut faire aussi sourire dans une branche où le nombre d’emplois en Suisse est passé de 380 000 en 1991 à 320 000 en 2014 (–16 %).

 

Le Conseil fédéral déroule le tapis rouge à la grande distribution

 

Concernant le volume du tourisme d’achat, même le Crédit Suisse estime qu’il ne va plus croître au cours des prochaines années mais plutôt se stabiliser et que les commerces se sont adaptés à ce nouvel équilibre (cf. Crédit Suisse, Retail Outlook 2014, janvier 2014, dans la série economic research). La pertinence d’un allongement des heures d’ouverture des commerces sur le volume des achats transfrontaliers reste encore à prouver. Selon un sondage du GfK commandé par les grands détaillants en personne, la principale raison des achats transfrontaliers réside dans les prix plus attractifs de l’autre côté de la frontière (79 % des réponses), loin devant un choix de produits plus vaste (37 %), la spécificité des produits (34 %), … et les horaires des magasins plus étendus (22 %). (cf. GfK : achats à l’étranger en 2013, février 2014).

Dès lors, le souci de l’impact écologique exprimé hypocritement par les partisans de la libéralisation des heures d’ouverture des magasins ne résiste pas plus à l’examen critique…

Malgré ces éléments connus du Conseil fédéral et malgré l’opposition au projet de LOMag exprimée par tous les cantons à l’exception du Tessin, le Conseil fédéral a décidé d’aller de l’avant et présentera en 2014 aux Chambres fédérales un projet de loi tel que souhaité par les grands distributeurs, ne tenant aucunement compte des conditions de travail des quelques 320 000 vendeuses et vendeurs de ce pays.

Une occasion de lancer une campagne référendaire et d’organiser la résistance du personnel de vente à ne pas manquer pour les syndicats de la branche.

 

Joël Varone