7 mars 2015

7 mars 2015 : Y a pourtant pas marqué «pigeonne» !

Appuyées d’un comité pour le moins hétéroclite, les centrales syndicales appellent à une manif le 7 mars prochain à Berne pour l’égalité salariale, au mépris de la volonté exprimée par leur base de faire également de cette journée un moment de revendication contre l’élévation de l’âge de la retraite des femmes et autres mesures de péjoration prévues par le plan Berset. Face aux alliances politiques contre nature et aux petits arrangements entre amis, nous devons refuser d’être encore et toujours les dindonnes de la farce.

 

En octobre 2014, le congrès annuel de l’Union syndicale suisse avait vu les militant·e·s décider de faire de la journée de lutte pour les droits des femmes du 8 mars 2015 un moment de mobilisation nationale contre l’élévation de l’âge de la retraite des femmes et pour l’égalité salariale, deux thèmes soumis à discussion au parlement fédéral dans le courant de l’année.

Au projet d’égalité par le bas prôné par le plan de prévoyance vieillesse 2020 élaboré par le Conseiller fédéral socialiste Berset, les dé­lé­gué·e·s ré­uni·e·s à l’USS avaient ainsi intelligemment décidé d’opposer une lutte pour le maintien des acquis des femmes sur le plan des retraites, et d’en rajouter une couche sur l’égalité salariale à la suite de l’annonce timide du Conseil fédéral de vouloir introduire quelques contrôles en la matière.

 

 

Camaraderie féminine et classes sociales

 

Un comité unitaire est donc mis sur pied dans le courant de l’automne dernier, composé d’une coalition élargie aux camarades d’un jour des associations de femmes d’affaire de droite et des sections féminines du Parti démocrate-chrétien et du Parti Evangéliste (oui, le même qui voulait supprimer le remboursement de l’IVG par l’assurance de base…). Très vite, la question du plan Berset et de l’élévation de l’âge de la retraite des femmes disparaît de l’horizon de la manifestation prévue. Il est vrai que la perspective de travailler un an de plus effraye moins lorsqu’on passe ses journées assises derrière un bureau qu’à remplir les rayons d’un supermarché. Une leçon de plus, mais en avait-on réellement besoin, que la camaraderie féminine s’arrête aux portes de la classe sociale.

Qu’importe, aurait-on pu dire, les forces syndicales seront majoritaires et sauront faire valoir le moment venu que nous avons l’outrecuidance de revendiquer de conserver notre retraite à 64 ans et d’être payées au même tarif que nos congénères masculins ! Peu à peu, l’annonce de la manifestation est en effet relayée par les sites Internet des centrales syndicales. La question des retraites est bien présente dans les titres, mais on peine à trouver une seule ligne sur ce sujet dans les corps de texte qui les suivent. Fin décembre, les premiers flyers de mobilisation pour la manifestation commencent à paraître. Chez Unia, la nécessité de lutter contre l’élévation de l’âge de la retraite ne figure toujours pas dans le texte du tract, à présent elle a même disparu du titre…

 

 

Dealer l’égalité salariale contre l’élévation de l’âge de la retraite ?

 

Confronté·e·s à un oubli aussi flagrant, le plan Berset n’étant rien de moins que la pire attaque politique portée contre les intérêts des femmes depuis la 10e révision de l’AVS en 1994, on s’interroge. Petit à petit, on se souvient qu’en lançant son projet de réforme, M. Berset avait en toute mansuétude suggéré que l’introduction de la retraite des femmes à 65 ans devrait s’accompagner d’un effort pour réduire les inégalités salariales qui les touchent. Nous revient également à la mémoire que le congrès des femmes PS de l’automne 2013, prenant son ministre au mot, avait suggéré que l’on pourrait peut-être entrer en matière si un système de compensation était mis en place sous forme de réduction de l’inégalité salariale, le deal imaginé étant alors de troquer un ou deux mois de travail en plus pour toutes, pour chaque pourcent d’inégalité salariale moyenne en moins.

Et on en vient finalement à penser qu’une telle mise en valeur de l’égalité salariale de la part des organisatrices de la manifestation du 7 mars, au détriment de la question de l’élévation de l’âge de retraite, porte un but précis : faire comprendre que les femmes seraient prêtes à négocier sur ce point. On finit même par se demander si l’organisation d’une manifestation nationale pour le 8 mars, après 5 ans d’absence, n’avait pas pour but d’éviter que cette journée de lutte ne donne lieu à trop de mobilisations dans les régions sur la question des retraites. On n’ira toutefois pas jusqu’à l’affirmer, il paraît que la gauche radicale est parano…

 

 

Féministes et syndicalistes

 

Parce que nous sommes féministes et syndicalistes, nous refusons que l’égalité salariale qui nous est due ne soit troquée contre une augmentation de nos années de travail qui affectera aussi à terme nos camarades masculins, et prônons une mise à égalité par un abaissement de l’âge de la retraite de toutes et tous. Parce que nous sommes féministes et syndicalistes, nous regrettons également que l’organisation d’une journée de lutte des femmes se livre finalement à une instrumentalisation de ces dernières, spoliant leur parole en verrouillant le mot d’ordre de la manifestation, nous renvoyant de facto à la position d’oppression dont nous faisons l’expérience chaque jour dans les espaces publics et politiques.

Parce qu’il n’est pas inscrit «pigeonne» sur notre front en ce qui nous concerne, il est primordial que nous soyons nombreuses et nombreux à cette manifestation, non pour roucouler à l’unisson avec nos camarades d’un jour, mais pour porter une autre voix et affirmer ces principes par nos slogans, nos pancartes et nos actions. 

 

Audrey Schmid