Le festival «Lampedusa» à Zurich

Nous poursuivons ci-dessous la présentation de mouvements contestataires en Suisse, entamée dans notre dernier numéro, en donnant la parole à deux membres de l’Ecole autonome de Zurich, faisant partie des organisations du Festival « Lampedusa ».

Il y a un an, des représentant·e·s de l’Ecole autonome de Zurich prenaient part à une rencontre de plusieurs organisations, groupes de base, ONG et mi­li­tant·e·s à Lampedusa. Cette rencontre permit de formuler collectivement et d’adopter la Charta di Lampedusa. Ce document critique l’actuelle politique migratoire, source d’inégalités et d’exploitation, de l’Union européenne (UE) et de pays comme la Suisse qui font de facto partie du régime migratoire européen. C’est une politique réactionnaire dans la crise du capitalisme néolibéral, dans laquelle la seule dimension universelle reconnue est l’argent, et qui vise la division et la désolidarisation entre les travailleuses et travailleurs migrants et les « indigènes ». Ce régime fait le tri entre les êtes humains qui ont le droit de se déplacer librement et ceux à qui on le refuse. C’est la simple répartition entre citoyens/non-citoyens et Européens/non-­Européens, qui décide qui aura accès ou non aux biens communs de l’Etat et de la société. En fonction du statut du séjour et de catégories biopolitiques, on décide qui sera soumis à la répression policière et qui pourra s’appuyer sur les droits fondamentaux. La Charta di Lampedusa revendique une réorientation complète sur les plans économique, politique, juridique et culturel. Ce revirement commence par le développement d’une conception renouvelée, fondée sur la liberté et des perspectives d’avenir pour tous les humains, indépendamment de la nationalité et de l’origine. 

 

 

Le projet LampedusaFestival

 

Le regroupement qui formula alors la Charta di Lampedusa est très lâche, mais les liens entre l’Ecole autonome et le « Collettivo Askavusa » existent toujours et se sont même resserrés durant l’année passée. Ainsi, lors du 1er Mai 2014, Askavusa fit venir une partie de l’exposition PortoM à Zurich; la Kochareal fut le lieu d’échanges avec des mi­grant·e·s et des ré­fugié·e·s de l’Ecole autonome et de l’Espace pour l’autonomie et le « désapprendre » (Autonome Schule und Raum für die Autonomie und das Ferlernen, RAF-ASZ). En automne 2014, un groupe d’activistes de Zurich prit part au LampedusaFestival, un festival politique et du film, organisé par Askavusa et consacré au thème de la migration, qui se déroulait pour la sixième fois sur l’île. De retour, nous vint l’idée de présenter à Zurich une partie du Lampedusa­Festival, de poursuivre les discussions commencées, de renforcer les liens établis et de les inscrire dans le contexte local.

Le projet LampedusaFestival – organisé par l’Ecole autonome Zurich, l’association connact et la Rote Fabrik – permet au public d’ici de voir les principaux moments du LampedusaInFestival, oppose différentes expressions artistiques au discours dominant sur l’exil et la migration, projette le film lauréat du festival ainsi que d’autres films de son programme et présente des initiatives auto-organisées par des mi­grant·e·s en Italie et en Suisse. Le programme du Festival Lampedusa à Zurich comprend quatre expositions, quatre projections de film (souvent en présence des principaux comédiens ou du metteur en scène), quatre débats, un concert et une représentation théâtrale. 

 

 

Lampedusa n’est pas un destin inévitable

 

Nous sommes conscients qu’il s’agit d’une entreprise risquée : ces dernières années, Lampedusa est devenu le lieu des projections les plus diverses, non seulement de la politique, mais aussi des médias, des organisations d’entraide et des droits humains, ainsi que de la culture. Lorsque l’on entend le mot Lampedusa, on l’associe immédiatement à des images ou des représentations souvent fortement marquées par notre propre impuissance, par une peur diffuse (ou une mauvaise conscience) et non pas par les réalités existentielles, les rêves et les perspectives de ces êtres humains que notre regard d’observateur extérieur distancié transforme en « victime en détresse ». Organisateurs et organisatrices du Festival Lampedusa à Zurich, nous avons aussi ce regard extérieur, comme les visiteurs et visiteuses des expositions et les par­ti­cipant·e·s aux débats. Nous ne voulons et ne pouvons pas influencer ce qu’ils et elles feront de leurs impressions, ni la manière dont ce qui aura été vu ou entendu se traduira, sous sous quelle forme, dans leur engagement et leur travail politiques. Mais nous restons malgré tout persuadés que des changements substantiels de la politique de migration en Europe sont nécessaires et qu’il faut pour cela un mouvement fort, capable de lier les résistances et les perspectives locales avec un réseau et des mobilisations internationales.

Pour nous, il est important de rappeler que «Lampedusa» et ce que nous associons à ce nom n’est pas simplement l’inévitable «destin» de milliers de migrant·e·s, mais qu’il y a des responsabilités politiques derrière cela et que le tout s’insère dans un système de guerres, de surveillance, de patrouilles et de camps d’internement étroitement imbriqués, qui a depuis longtemps pris pied sur le continent européen et en Suisse. 

 

Barbara Müller et Raphael Jakob

LampedusaFestival

(Titre et intertitres de la rédaction)