En marge du swissleaks

En marge du swissleaks : Too big to fail, too powerful to be sentenced?

Olivier Jornot nous l’a dit l’autre jour au « 19 h 30 » sur le ton sentencieux et suffisant de celui qui découvre la lune : « nous sommes paralysés en Suisse par le fait que nous ne voulons pas toucher – d’un point de vue pénal – à la lutte contre l’évasion fiscale. Le jour où nous aurons compris que les circuits utilisés par l’évasion fiscale sont les mêmes que ceux utilisés pour blanchir l’argent de la drogue, peut-être que le déclic aura lieu ». (« 19 h 30 » du 18 février 2015)

 

Et Dick Marty d’ajouter lors du même téléjournal : «La fraude fiscale est un excellent moyen mimétique pour cacher des trafics criminels. En ce sens, nous les Helvètes, nous avons été et nous sommes des complices objectifs de trafiquants». Résumant encore les réactions à droite à la déclaration d’Olivier Jornot, présentée comme offensive, le commentateur du téléjournal conclut : «ici on fait confiance à la loi décrite comme des plus exigeantes en matière de blanchiment!».

Sur ce même thème, et selon Xavier Oberson : «La banque pourrait aussi avoir des ennuis avec l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) si elle contrevient au principe de garantie d’activités irréprochables. En fonction de la gravité de l’infraction, les conséquences peuvent aller de l’amende au retrait de la licence sur sol suisse» (20 Minutes, 18.02.2015).

 

 

En attendant le déclic

 

Lors des trois dernières décennies pourtant, peu d’affaires importantes de blanchiment de l’argent du trafic de drogue ont occupé la justice pénale suisse ou les autorités de surveillance bancaire; en fait, nous sommes incapables d’en citer une de l’ampleur des autres affaires de blanchiment du produit de la délinquance financière (blanchiment de l’argent de la corruption, d’escroquerie, d’abus de confiance, de trafic d’armes, et de manipulations criminelles en tout genre).Que l’on songe par exemple aux affaires qui se sont échelonnées ces trente-cinq dernières années : Marcos, Duvalier, Roldan, ELF I, ELF II, Abacha, Estevil, Bhutto, Borodine, Nazarbaiev, Angolagate, Banco Noroest, Tractebel, Fujimori, Alstom, Thomson…

Mais si, comme nous le chantent certains, la législation pénale et de surveillance bancaire est l’une des plus exigeantes au monde – ce qui est largement exact – comment expliquer la répétition de ce type d’affaires (dont celles citées ci-dessus n’est qu’exemplative) ? Cette situation serait-elle due à l’absence de clarté de la législation ? Exigeante certes mais peu claire ? Pas du tout.

 

 

Une réglementation exigeante et claire…

 

Début des années 80 déjà, la Commission fédérale des banques (CFB – ancêtre de la FINMA) et le Tribunal fédéral ont eu l’occasion de mettre les points sur les i en se penchant sur la notion d’activité irréprochable exigée par l’art. 3 de la loi fédérale sur les banques.

Pour ne citer que deux exemples : dans son bulletin nº 7 (1980), la CFB a expliqué qu’une banque doit vérifier avec soin la légalité des transactions auxquelles elle prête son assistance. Il s’agissait dans ce cas d’importantes commissions versées dans le cadre d’un contrat de construction au Moyen-Orient. Toujours au début des années 80, et dans une autre affaire, le Tribunal fédéral a indiqué que les banques devaient élucider les raisons économiques des opérations envisagées lorsque des indices font craindre que la transaction puisse constituer l’élément d’un état de fait illicite ou contraire aux mœurs ou lorsqu’il s’agit d’une opération compliquée, inhabituelle ou importante (cf. ATF 108 Ib p. 186).

Puis, dans son rapport de gestion de 1987, la CFB a expliqué que les cas Marcos et Duvalier «démontrent à quel point il peut être délicat pour des banques d’accepter en grande quantité des avoirs de chefs d’Etats étrangers. C’est pourquoi la Commission des banques exige que la direction et non des services subalternes de la banque décide, après avoir pesé toutes les circonstances, si des relations d’affaires aussi délicates doivent être acceptées ou poursuivies. Il appartient aux banques de régler clairement ce genre d’affaires par des directives appropriées» (cf. Rapport de gestion, 1987 p. 156)

Treize ans plus tard, soit en août 2000, dans plusieurs décisions concernant l’affaire Abacha, la CFB a une nouvelle fois eu l’occasion de rappeler que l’exploitation d’une banque est soumise à une autorisation de la CFB aux conditions fixées par la loi fédérale, notamment : 

 

l’obligation, pour la banque, de disposer d’une organisation appropriée à son activité;

l’exigence que les personnes chargées de l’administration et de la gestion de l’établissement jouissent d’une bonne réputation et présentent toutes les garanties d’une activité irréprochable, soit des personnes compétentes au plan professionnel qui se comportent de façon correcte dans les affaires. (suite p.9)

 

Elle a encore indiqué que ces conditions visaient non seulement à protéger les créanciers des banques concernées, mais également à maintenir la confiance que met le public, tant national qu’international, dans un système bancaire réglementé.

La CFB rappelait qu’un comportement est tenu pour correct lorsqu’il respecte l’ordre juridique, c’est-à-dire les lois et leurs ordonnances, les directives et la pratique des autorités de surveillance ainsi que les usages de la profession et les directives internes. Elle précisait que ce qui est valable pour les organes individuels s’applique également à la banque en tant qu’institution, à savoir que la banque, en sa qualité d’entreprise, doit aussi respecter la condition d’autorisation relative à la garantie d’une activité irréprochable. S’agissant plus spécifiquement de la corruption, la CFB indiquait que les relations bancaires avec des clients d’Etats où une influence étatique importante sur l’activité économique est liée à une corruption largement répandue ainsi qu’à un mépris systématique des droits fondamentaux et à des actes de violence politique, requièrent une attention particulière et des vérifications approfondies lorsque des clients privés souhaitent placer des valeurs patrimoniales d’une importance particulière.

 

 

Qu’en ont-ils fait ?

 

Comment comprendre que, trente-cinq ans plus tard, les mêmes pratiques bancaires perdurent et défraient toujours la chronique ?

Too big to fail or/and even too powerful to be sentenced.

La législation la plus exigeante n’est rien sans une application exemplaire, transparente et, surtout, systématique.

Force est aujourd’hui de constater que l’application de la législation bancaire et celle sur le blanchiment, tant par les autorités de poursuites pénales que par l’autorité de surveillance administrative, est un échec. Le constat s’impose : ces autorités ont dramatiquement failli. Cette défaillance ne résulte pas de l’insuffisance ou de l’inadéquation de la législation en vigueur mais d’une simple volonté politique. 

 

Daniel Devaud