Travailler un an de plus pour cesser d'être discriminées? Et puis quoi encore?

Courant 2015, le Conseil des Etats, puis le Conseil national, devront se déterminer sur le projet prévoyance-vieillesse concoté par le Conseiller fédéral socialiste Alain Berset, qui prévoit une révision mixte des 1e et 2e piliers. Conçu dans la perspective catastrophiste d’un vieillissement massif de la population, ce projet vise à des économies drastiques dans l’AVS et le 2e pilier. Sur le total de la facture, la contribution seule des femmes est estimée à 1,5 milliards de francs, dont 1,1 milliards issus des économies réalisées par l’absence de versement de rentes entre 64 et 65 ans, 400 millions économisés par la suppression des rentes de veuves sans enfants, et 100 millions liés aux rentrées supplémentaires induites par le versement de cotisations pendant une année de plus.

 

Alors que les femmes sont encore massivement victimes d’un traitement inégalitaire sur le marché du travail en raison de leur sexe, le projet Berset

entend faire de l’élévation de leur âge légal de départ à la retraite une simple application du principe d’égalité entre hommes et femmes. Soutenu par la droite bourgeoise et patronale sur ce point, la proposition du Conseil fédéral est exemplaire des attaques systématiques portées ces dernières années contre les plus précaires, qui ouvrent discrètement la voie à un démantèlement complet des systèmes de protection. La droite ne s’en cache d’ailleurs pas, l’élévation de l’âge de la retraite des femmes ne présentant à ses yeux qu’une victoire d’étape, un verrou à faire sauter pour justifier, à terme, le report de l’âge de la retraite de toutes et tous. 

 

Porte d’entrée toute trouvée, les femmes sont doublement victimes de ce projet de réforme qui, au-delà de les viser directement, fait payer un lourd tribut aux plus précaires, dont elle forment la majeure partie, tout au long de leur carrière. Le deuxième axe central du plan Berset est en effet la baisse du taux de conversion du 2e pilier, indice multiplicateur fixe qui permet de déterminer le montant des rentes mensuelles versées à la retraite, selon le capital total de LPP accumulé. Il faudra donc cotiser plus au 2e pilier pendant toute la carrière pour jouir des mêmes rentes mensuelles une fois arrivés à la retraite. Couplant un projet d’augmentation de la TVA de 1,5 % pour apporter de nouvelles recettes à l’AVS à cette baisse du taux de conversion, le projet prévoyance-vieillesse, s’il devait être accepté, réussirait ainsi la double opération de réduire dans le même temps le revenu net des ménages et faire grimper le prix des biens de consommation.

 

De quoi péjorer la situation de tous les actifs qui peinent déjà à boucler leurs fins de mois, tout en maintenant, une fois arrivé à la retraite, les inégalités rencontrées entre hommes et femmes face à l’emploi. Les différences de revenus liées aux temps partiels imposés, au décrochage professionnel au moment de la maternité et à la discrimination salariale directe et indirecte se retrouvent en effet telles quelles dans le système de cotisations individuelles du 2e pilier, les femmes touchant en moyenne une rente annuelle de 18 000 francs, contre 32 400 francs pour les hommes. Alors qu’un traitement plus égalitaire des re­trai­té·e·s passerait d’abord et avant tout par une répartition plus équitable des gains de productivités entre les sexes et les classes durant la vie active, le renforcement du système de capitalisation par tête démontre donc un choix politique qui va à l’encontre de l’égalité entre les sexes et plus généralement d’un projet de plus juste répartition des richesses entre toutes et tous. 

 

Carotte de la négociation, « l’égalité salariale » propulsée sur le devant de la scène par les centrales syndicales à l’occasion de la manifestation du 7 mars prochain ne représenterait qu’une maigre compensation, pour autant qu’elle puisse encore être obtenue et réellement appliquée. Les revendications mises en avant officiellement par le comité d’organisation ne concernent en effet que la seule discrimination salariale directe, soit la part d’écart salarial entre hommes et femmes, actuellement de l’ordre de 7 %, qui reste à compétences – dites « objectives » – égales, c’est-à-dire lorsqu’on a neutralisé les variables de formation, d’’années de service et de postes occupés, qui sont toutes directement influencées par des mécanismes de discriminations indirectes. Une goutte d’eau, aussi importante soit-elle, dans l’océan des inégalités créées par les temps partiels imposés, la dévalorisation systématique des métiers féminisés et l’absence de partage du temps de travail rémunéré et non rémunéré, ne saurait justifier que l’on avale sans broncher le paquet Berset dans son entier.

 

Nous payons depuis des décennies le fait d’être des femmes malgré l’interdiction officielle de la discrimination, il est hors de question qu’on cherche encore à nous vendre l’égalité salariale au prix d’une année de travail supplémentaire.

 

Audrey Schmid