« Dirty Gold War »

Etonnant, perturbant, scandalisant. Ce sont ces émotions que suscite Daniel Schweizer, réalisateur de films et de documentaires aguerri, en nous faisant part des enjeux des exploitations aurifères en Amérique du Sud. De l’extraction à la vente finale, il nous livre un aperçu de la chaîne d’approvisionnement mondiale de l’or.

 

Qu’est-ce qu’ont en commun la tribu Yanomami, l’entreprise d’horlogerie suisse Chopard, la police brésilienne et les ha­bi­tant·e·s du village de Choropampa dans les Andes péruviennes ? La réponse est l’or. Le réalisateur nous expose en quoi ils se retrouvent impliqués d’une manière ou d’une autre dans le chemin que fait cette ressource « maudite » entre son point d’extraction, la terre, et sa destination finale, une montre ou une alliance de mariage par exemple. Qu’ils ou elles soient courtiers, avo­cat·e·s, paysan·ne·s ré­sis­tant·e·s, simples ha­bi­tant·e·s, membre d’ONG, agent de sécurité ou de police, indigène, ministre ou patron, Schweizer les convoque pour nous immerger dans une réalité perturbante.

 

 

De Baselworld
à Belo Horizonte

 

Il alterne des images de paysages dans des régions aurifères, images de manifestations et de résistances, avec de courts, mais nombreux, entretiens. Il met aussi en avant le contraste entre des régions habitées par des tribus indiennes et des scènes qui reflètent l’extrême modernité des points de vente dans des pays du Nord, comme le salon mondial de la bijouterie et de l’horlogerie Baselworld en Suisse dont l’espace d’exposition s’étend sur plus de 140 000 m² au cœur de la ville de Bâle. Cette succession de plans donne au documentaire un caractère très dynamique, qui maintient son public en haleine tout au long de son visionnage. Quelques aperçus :

En guise d’introduction, Dirty Gold War nous amène au Brésil, à Belo Monte au bord du fleuve Xingu. Ce point d’eau vital pour plus d’une quinzaine de tribus indiennes est menacé par Belo Sun Mining, entreprise extractrice qui planifie de construire un barrage afin de créer un lac artificiel dans le cadre d’une exploitation aurifère. Avec d’un côté l’inondation de certaines zones habitées, de l’autre un assèchement total des points d’eau, ce projet privé met en danger non seulement des vies humaines, mais risque de faire des ravages dans la faune et la flore locales. Contrastant brutalement avec ces dégâts, on est ensuite transporté au-delà de l’océan pour arriver en Suisse. Pourquoi la Suisse ? Quatre des plus grandes entreprises d’extraction d’or sont installées sur le territoire helvétique – Metalor Group SA, Valcambi SA, PAMP SA et Argor Heraeus SA. Depuis quelques années, 2500 tonnes d’or sont importées ici chaque année, ce qui représente l’écrasante majorité des échanges commerciaux de l’or au niveau mondial – 3000 tonnes par an au total environ. 

S’ensuivent deux études de cas de problèmes liés aux exploitations aurifères au Pérou. La première concerne les manifestations paysannes coordonnées par le Père Arana – prêtre et militant de longue date persécuté par les forces de l’ordre – pour protester contre l’usage intempestif de produits toxiques comme le mercure ou le cyanure, ainsi que contre le manque de mesures de sécurité. La seconde traite d’un accident qui a eu lieu dans le village de Choropampa, lorsqu’une cargaison de 150 kg de mercure est tombée d’un camion et s’est déversée sur la voie publique, au milieu des habitations et des passants. Les conséquences n’ont pas tardé : urticaires, vomissements, hémorragies, déformations ne sont que les maux visibles sur les humains. La flore s’assèche, les terres deviennent progressivement incultes. A cela, le directeur du Newmont Group qui gère la mine proche du village – Yanacocha Mine – répond très simplement que «toutes les personnes sont couvertes par une assurance-maladie. Nous faisons tout pour que ces personnes aient accès aux soins dont ils ont besoin». Difficile à croire quand on voit les ha­bitant·e·s défigurés à vie et gravement malades. On réalise progressivement que la seule solution envisageable pour effectivement résoudre ces problèmes consiste en une interdiction totale des exploitations aurifères.

 

 

L’illusoire or « équitable »

 

Et pourtant, cette solution semble être inexistante si on en croit les courtiers éthiques, promoteurs du commerce équitable (fair trade) que nous présente la dernière partie du documentaire. Pour ces traders du 21e siècle, il ne suffit pas de les faire se plier aux règles des anciens, il faut innover, mettre en valeur la responsabilité sociale des entreprises ! Transformer les marchés, les faire plier à de nouvelles règles et permettre ainsi aux capitalistes des temps modernes d’accaparer férocement un maximum d’argent. Un combat de rapaces du 20e siècle contre rapaces du 21e siècle. Inutile de dire qui en fera les frais.

L’or « équitable » n’est de loin pas propre, sa production déverse cyanure et mercure dans la terre, détruit la faune et la flore à coup de machines et d’explosifs et tue chaque année plus de personnes. Vouloir en terminer avec les problèmes liés à l’or implique de dénoncer toute exploitation aurifère, où qu’elle soit, quelle qu’elle soit. Laissons ces richesses de la terre dans la terre et soutenons toutes les luttes pour un avenir digne et sans pollution ! 

 

Thomas Feron