Helvétiquement vôtre

Helvétiquement vôtre : 2015, qu'y a-t-il donc à commémorer?

Cette année, quatre événements font l’objet de commémorations : la bataille de Morgarten (1315), la conquête de l’Argovie (1415), la bataille de Marignan (1515) et le Congrès de Vienne (1815).

Au Conseil des Etats, Hans Stöckli, ancien maire (PS) de Bienne, s’est inquiété de l’interprétation de l’histoire suisse, donnée par ces commémorations. En effet, deux de ces événements – Morgarten et Marignan – sont instrumentalisés par la droite nationale-­conservatrice (SVP/UDC), qui considère Marignan comme étant à l’origine de la neutralité suisse et présente Morgarten comme exemple de « résistance à l’étranger ». Or, «il y a un grand décalage entre ce que dit l’UDC et l’état de la recherche historique nationale et internationale. Celle-ci se rit des récits identitaires que le parti agrarien offre à nos concitoyens» (Thomas Maissen, 24 heures, 16.6.2015).

 

 

A propos de Morgarten (1315)

 

L’affrontement du 15 novembre 1315 entre les Schwytzois et l’armée du duc d’Autriche Léopold a été présenté comme une jacquerie contre la féodalité. Or, depuis des décennies, il y avait un conflit de voisinage entre Schwyz et le couvent d’Einsiedeln (conflit qui ne fut résolu qu’en 1350 au profit de Schwyz). Dans la nuit des Trois Rois (1314), le couvent d’Einsiedeln fut pillé par une bande schwytzoise. L’intervention du duc d’Autriche, protecteur du couvent, faisait donc suite à des incidents similaires.

 

 

La conquête de l’Argovie (1415)

 

En avril 1415, suite à un conflit entre le Saint-Empire romain germanique et le duc d’Autriche (de la famille des Habsbourg), les Confédérés conquirent l’Argovie. La conquête de la Thurgovie (1460) mit fin à la présence des Habsbourg sur le Plateau suisse. Ces régions – comme le Tessin (début du 16e siècle) et le Pays de Vaud (1536) – devinrent sujets d’un ou de plusieurs cantons. Leur gestion fut à l’origine de la Diète fédérale, dont les sessions jusqu’en 1798 se tenaient à Baden.

L’annexion de l’Argovie en 1415, moins médiatisée cette année, «met en lumière l’histoire authentique de l’oppression et de l’exploitation des sujets, qui constituaient les 4⁄5 de la population confédérale en 1798. Elle contredit le mythe de la tradition de liberté et d’appel démocratique des Landsgemeinde» (Josef Lang).

 

 

Marignan, morne plaine…

 

Au début du 16e siècle, des mercenaires suisses participèrent aux guerres d’Italie, pour le compte des rois de France (qui revendiquaient le duché de Milan), puis des ducs de Milan et du pape (souverain temporel des Etats de l’Eglise). Pour prix de leurs services, les cantons suisses s’approprièrent le Tessin et la vallée de l’Ossola et leurs alliés des Trois-Ligues grisonnes annexèrent la Valteline.

La défaite des Suisses à Marignan (13–14 septembre 1515) – illustrée de manière réaliste par un tableau assez saignant (qui fit à l’époque scandale) de Ferdinand Hodler – marqua la fin de leur protectorat sur le duché de Milan. Mais la Suisse ne devint pas neutre pour autant : le traité de paix (1516) avec le roi François Ier stipulait l’engagement de mercenaires suisses au service de la France. Jusqu’au milieu du 19e siècle, des milliers de soldats suisses furent présents sur les champs de bataille en Europe.

 

 

Le Congrès de Vienne (1814–1815) et le Pacte fédéral (8 septembre 1815)

 

Chargé de réorganiser l’Europe, le congrès de Vienne s’occupa de la Suisse. La coalition anti-­napoléonienne (Prusse, Autriche, Russie, Grande-Bretagne) se déclara le 20 mars 1815 «gardien[ne] de la neutralité suisse, du Pacte fédéral et des constitutions cantonales».

La Suisse redevint une Confédération d’Etats souverains. Seule innovation : l’institution d’un état-major et d’une armée fédérale. «La Restauration suisse (…) va abolir progressivement les idées révolutionnaires et démocratiques transmises par la Révolution française» (Renato Morosoli, « Pacte fédéral de 1815 », Dictionnaire historique de la Suisse [hls-dhs-dss.ch]). Même dans les nouveaux cantons, le nombre des électeurs fut diminué par la hausse du cens électoral (revenu nécessaire pour être électeur et éligible). L’une des rares protestations contre cette vague réactionnaire fut formulée par le pédagogue Heinrich Pestalozzi : «S’efforcer de priver le peuple de ses droits et faire figurer cette prétention dans la Constitution, voilà le crime de haute trahison, voilà le seul vrai crime de lèse-majesté. Ces mots, le vieil Helvétique les jeta en 1815 au visage des réactionnaires» (Alfred Rufer, « La doctrine de Pestalozzi », in La Suisse et la révolution française, Paris, 1973).

 

 

« Tu guideras nos pas, Zimmerwald… »

 

Dans la liste des anniversaires, n’oublions pas le centenaire de la conférence de Zimmerwald (6–9 septembre 1915). Dans ce village bernois, 34 socialistes se réunirent pour coordonner la lutte contre la guerre impérialiste. Un usage non prévu de la fameuse neutralité suisse ! 

 

Hans-Peter Renk

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À lire

Antoine Chollet, La Suisse, nation fêlée : essai sur le nationalisme helvétique.
Sainte-Croix, Les Presses du Belvédère, 2006

Johannes Dierauer, Histoire de la Confédération suisse. T. 5 : De 1798 à 1848, Lausanne, Payot, 1918

Thomas Maissen, Schweizer Heldengeschichte – und was dahinterstekt
Baden, Verlag Hier und Jetzt, 2015

Werner Meyer, 1291, l’histoire : les prémisses de la Confédération suisse. Zurich, Ed. Silva, 1990

 

Site à consulter

Sur Marignan, une action d’Art   Politique : marignano.ch (Textes de 18 auteurs, dont Charles Heimberg, Josef Lang, Laurence Deonna et Daniel de Roulet)