Général Guisan, sauve notre armée !

Le 25 juillet, la Société suisse des officiers (SSO) a organisé sur la prairie du Grütli une imposante commémoration du « Rapport du Grütli » qu’avait tenu le général Guisan devant 400 officiers de l’armée suisse 75 ans plus tôt. Cette commémoration fait partie d’une opération de propagande mise en œuvre par les milieux pro-armée pour soutenir le maintien d’une armée encore très largement surdimensionnée en personnel et en moyens financiers.

En même temps,  pour garder dans le giron de l’armée l’argent économisé avec la renonciation aux Gripen, le Conseil fédéral demande au parlement de voter un supplément de 874 millions de francs au programme d’armement 2015 pour des achats d’armes somptuaires 1.

Pour rappel, durant l’été 1940, alors que la Suisse était entourée par les forces de l’Axe, le « Rapport du Grütli » du Général Guisan servait à maintenir l’illusion d’une Suisse indépendante et prête à résister à une invasion de l’Allemagne triomphante. Cette illusion servait à cacher les fournitures d’armes à l’Allemagne, le blanchiment de l’or pillé par les nazis, la mise à disposition des lignes de chemin de fer pour les transports entre l’Allemagne et l’Italie, la complicité dans le refoulement des réfugiés juifs. De fait, la stratégie du « Réduit national » que Guisan explicitait dans son Rapport comportait l’abandon de la grande majorité de la population du Plateau suisse et de l’arc lémanique (avec toutes les ressources économiques) à l’occupant nazi, avec le repli de l’armée dans les vallées alpines où elle aurait gardé l’indépendance d’une Suisse des origines en attendant des temps meilleurs.

La ressuscitation en 2015 de la mythologie du « Réduit national » a été mise en œuvre par les milieux militaristes inquiets de la continuelle érosion de moyens que subit l’armée suisse depuis la fin de la guerre froide. Au centre de l’opération, le Brigadier Denis Froidevaux qui se trouve à être à la fois président de la SSO et chef du « Service de la sécurité civile et militaire » du canton de Vaud. Ces dernières années, Froidevaux ne cesse de dénoncer l’incurie des politiciens qui contribue à la réduction de l’armée en peau de chagrin. Au Grütli, il a même menacé de lancer une initiative populaire si le parlement ne se décidait pas à garantir un budget militaire d’au moins 5 milliards de francs par année. Il est assez choquant de constater que cette opération de propagande militariste est placée sous la houlette du Canton de Vaud. En effet, la réalisation de la commémoration du 25 juillet au Grütli, ainsi que l’ouvrage commémoratif rédigé par J.-J. Langendorf et l’exposition parallèle au château de Morges Volonté et confiance, hier comme demain sont, selon les mots de Froidevaux, «fruits d’une initiative du Canton de Vaud, l’exposition et l’ouvrage font partie d’une opération globale de commémoration coordonnée et pilotée par le Service de la sécurité civile et militaire».

Cette ressuscitation a des aspects à la fois pathétiques et inquiétants. Pathétiques parce que le contexte européen d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui de 1940 et qu’il y a à peine plus d’un an, une majorité du peuple suisse a refusé le crédit militaire pour l’achat de nouveaux avions de combat qui, pour les mêmes milieux militaristes mobilisés cette année pour la commémoration au Grütli, étaient «indispensables pour garantir la sécurité du pays».

Ces aspects pathétiques virent à l’inquiétant si l’on considère que finalement l’idée de défendre avec l’armée « notre » îlot de bien-être, menacé par toutes sortes de pauvres et envieux, fait partie intégrante de l’idéologie de la droite réactionnaire suisse et européenne.

Tobia Schnebli 

 

  1. Notamment 550 millions de francs sont destinés à prolonger de 20 ans la vie de 2200 véhicules tout-terrain du type DURO (Mowag) soit plus de 250 000 francs pour chaque véhicule, qui avait coûté 166 000 francs à l’achat en 1993 (prix indexé); 100 millions serviront à acheter 130 millions de cartouches pour fusils et pistolets ainsi qu’un million de détonateurs de grenades et 98 millions à prolonger de quelques années encore la durée de vie des canons antiaériens de 35 mm dont la mise hors service était déjà prévue depuis longtemps.