Après l'attentat de Daech à Tunis

Le 24 novembre à Tunis, Daech a commis un nouvel attentat qui a tué douze personnes et en a blessé une vingtaine d’autres. A l’instar de Hollande et Valls, le pouvoir tunisien utilise cette situation pour, au moins provisoirement, geler le cycle en cours de grèves salariales. L’entretien qui suit est issu des propos recueillis par Dominique Lerouge auprès de Fathi Chamkhi (militant du RAID – Attac et du Cadtm en Tunisie – et député du Front populaire).

Dominique Lerouge Es-tu surpris par cet attentat ?

Fathi Chamkhi Non, cela fait plus de trois ans que des activités terro­ristes ont lieu. Cette évolution n’avait rien de fatal car il n’existait pas en Tunisie de terrain particulièrement fertile à de tels attentats. Non seulement en raison du poids du tissu syndical et associatif, mais également du fait de l’existence, pendant des dizaines d’années, d’un système d’éducation et de services sociaux sans comparaison dans la région.

Le problème est que, depuis environ 25 ans, cet « Etat providence » a été remis en cause par les politiques néo-libérales, et la population s’en est trouvée fragilisée. Le tout dans un contexte de crise généralisée de la région arabe. Néanmoins, si on compare à d’autres pays, la Tunisie est demeurée relativement épargnée par le terrorisme.

 

 

Quel est l’objectif de Daech ?

La Tunisie est une expérience dérangeante pour Daech : d’une part, c’est le pays d’où est partie la vague révolutionnaire de 2011. D’autre part, les maquis terroristes y sont pour l’instant relativement peu implantés. L’objectif à court terme de Daech est, à mon avis, d’établir durablement des maquis dans des zones montagneuses de l’intérieur. Son objectif à moyen terme est d’étendre son influence dans le reste du pays, en s’appuyant sur de nouvelles actions terroristes dans les centres urbains, notamment l’agglomération de Tunis. Le but visé est de prendre le dessus sur le pouvoir en place comme elle l’a fait en Libye.

Le gouvernement demeure pieds et poings liés par des accords et des politiques de restructuration imposés par les institutions financières internationales et la Commission européenne. Ce pouvoir, totalement soumis aux puissances capitalistes étrangères, alimente la propagande de Daech expliquant que celui-ci est inféodé aux « mécréants » de l’Occident. Avec l’attentat du 24 no­vembre, Daech veut sans doute desserrer l’étau autour des bases djihadistes dans l’intérieur du pays en portant la bataille au cœur même de la capitale.

 

 

Quelle est la réaction du pouvoir ?

Le pouvoir ne cesse de répéter qu’il est en guerre contre le terrorisme. Mais il s’agit d’une guerre de basse intensité. Il n’a en effet pas les moyens de mener une lutte intense, vu les directives imposées dans les plans de restructuration, notamment celles qui concernent la politique fiscale et la dette.

A titre d’exemple, dans le budget de 2016, les ressources financières cumulées (4990 millions de dinars), allouées aux ministères de l’Intérieur et de la Défense, sont inférieures au service de la dette (5130 millions de dinars). Les seuls intérêts de la dette (1850 millions de dinars) sont supérieurs au budget de la santé publique (1751 millions de dinars). L’Etat ne se donne donc pas les moyens pour combattre efficacement le terrorisme, comme il ne se donne pas les moyens d’instaurer la justice sociale, revendiquée par le mouvement social.

Le pouvoir se concentre sur un travail de renseignements, obtenus parfois sous la torture. Les mesures annoncées comme l’état d’urgence, le couvre-feu dans la région de Tunis ou la fermeture temporaire de la frontière avec la Libye, ont pour but essentiel de tenter de rassurer la population. Quant au discours sur la nécessité de l’unité nationale et de la paix sociale, il est destiné à faire accepter les restructurations et l’austérité. Pour y parvenir, le fait de disposer d’une majorité de 80 % à l’Assemblée ne lui suffira pas, il lui faudra affronter le mouvement social.

 

 

Comment réagit la population ?

Elle est mécontente et amère. Beaucoup de gens ont peur face à la capacité de nuire des terroristes. Ils se sentent délaissés et ont du mal à se nourrir et à se vêtir. La crise sociale et l’austérité touchent en effet des franges de plus en plus importantes. Ce qui aggrave le sentiment d’insécurité est l’absence d’alternative, l’absence d’espoir dans l’avenir. La population n’a confiance ni dans le gouvernement, ni dans les partis : l’Etat est vécu comme défaillant et les partis comme incapables de promouvoir des politiques permettant de stabiliser la situation, et à plus forte raison d’amorcer un redressement. Tout cela crée d’une part un terreau fertile au recrutement de terroristes, d’autre part un renforcement des nostalgies de l’époque Ben Ali. Entre ces deux extrêmes, la grande majorité de la population est désemparée.

 

 

Que va devenir le cycle de luttes ayant démarré depuis un an ?

Ce qui est surprenant est la capacité de la société tunisienne à rebondir. Depuis un an, des luttes sociales impressionnantes ont eu lieu, essentiellement autour de revendications salariales. L’attentat de Sousse, en juin dernier, avait stoppé nette la vague de grèves dans le secteur public. Une série d’avancées ont néanmoins été obtenues et les grèves ont rebondi trois mois plus tard dans le secteur privé avec un cycle de grèves générales régionales programmées entre le 19 novembre et le 1er décembre. Là encore, cette vague a été bloquée par l’attentat du 24 novembre, intervenu la veille de la grève générale prévue dans la région de Tunis. Mais une fois de plus, je pense que rien ne pourra empêcher les grèves de repartir face à la politique de baisse permanente du pouvoir d’achat des salarié·e·s.

Source : europe-solidaire.org