A lire

A lire : Des polars sur une époque sombre: la nôtre

Yishaï Sarid
Une proie trop facile
Actes Noirs/Actes Sud

 

Israël derrière le miroir  La littérature israélienne forcément contestataire des pouvoirs, surtout ceux de « Bibi », le premier ministre de droite qui est obnubilé par la guerre pour faire passer sa politique antisociale. Lui aussi a déclaré la guerre et d’abord aux Palestiniens pour leur refuser leurs droits… Le « terrorisme » – un terme à la mode qui permet de couvrir toutes les atteintes aux droits démocratiques – sert de paravent.

Yishaï Sarid s’est fait connaître en France grâce à ce merveilleux roman Le poète de Gaza (Actes Noirs) paru en français en 2011. Actes Sud récidive, toujours dans sa collection Actes Noirs, en publiant son premier roman, Une proie trop facile qui joue sur les apparences pour décrire un Israël de l’an 2000. Une écriture simple, descriptive qui cache l’essentiel, les non-dits sur lesquels repose cette société israélienne enfermée dans la guerre qui arrive mal à cacher ses divisions.

«Moi, je milite pour une cuisine simple», fait-il dire à un des personnages. Une cuisine simple est difficile. Il faut choisir avec soin les ingrédients sinon elle est banale et c’est raté. Une bonne définition de cette écriture. Simple et peu banale.

 

 

Liad Shoham
Terminus Tel-Aviv
traduit par Jean-Luc Allouche
10/18

 

Liad Shoham vit à Tel-Aviv et pratique le métier d’avocat. Il est au centre de la machine juridique. Terminus Tel-Aviv est son deuxième opus publié en France.

Il nous précipite dans l’actualité la plus brûlante. Les réfugiés, les migrants qui viennent d’Afrique – l’Erythrée et le Soudan en l’occurrence – et leur accueil en Israël. Il met en scène un député de la Knesset, l’Assemblé nationale, Réguev qui a bâti sa carrière politique sur la chasse aux Africains. On n’a pas besoin de se forcer pour imaginer son discours. Il entraîne avec lui des procureurs.

Se dresse contre cette profonde exclusion, moralement et économiquement déplorable, des associations qui se battent pour la défense des droits de ces immigrés. C’est le cas d’une jeune femme Michal Poleg que l’on retrouve assassinée. Une jeune femme, lieutenant de police, Anat Nahmias, est chargée de cette enquête. Elle passe dans les quartiers où vivent ces populations, dans des squats insalubres.

La description ce Tel-Aviv n’est pas le seul intérêt de ce roman. Un vrai polar avec ce qu’il faut de révolte, de dévoilement d’une réalité cachée, de volonté de faire prendre conscience de la nécessité de lutter, de combattre les préjugés.

 

 

Joe R. Lansdale
Diable rouge
Traduit par Bernard Blanc
Folio/Policier

 

Ecole du crime au Texas  Joe R. Lansdale est l’écrivain de polar le plus connu… au Texas mais aussi en France via les traductions – ici Bernard Blanc – publiées chez Denoël et avant dans la Série noire, reprises par Folio/Policier. Les enquêtes de Hap Collins, le Blanc hétéro qui se pose des questions et Leonard Pine – surtout à prononcer avec l’accent du Texas en train de se perdre – un Noir homosexuel attaché à la violence pure dénuée de sentiments, sont à la fois une caricature des polars et une manière de faire réfléchir sur notre monde. Ces deux personnages ont fait le tour du monde.

Dans ce Diable rouge, le rouge fait référence au sang et le diable à l’apparence de la vieillesse, les deux compères se heurtent à une organisation de tueurs et de tueuses. Une femme, Vanilla, leur vole la vedette pour régler une affaire obscure. Les ressorts psychologiques ne sont pas très fouillés, mais les situations sont toutes à la fois loufoques et logiques à partir du moment où le lecteur ne discute pas les postulats de départ. Il n’empêche Hap et Leonard vieillissent et la tentation a dû être grande, sans doute, pour l’auteur de faire mourir l’un des deux. Les personnages savent, quand il le faut, résister à leur auteur.

 

 

Friedrich Ani
M. Une enquête de Tabor Süden
traduit par Johannes Honigmann
Jacqueline Chambon Noir

 

Une Allemagne dans le brouillard  Friedrich Ani, né en 1959, manie avec assurance une plume acérée, souvent poétique pour mettre en scène une société, une ville « M » – titre de ce polar – comme Münich, secouée par un passé qu’elle n’arrive pas à dépasser.

Tabor Süden est un enquêteur curieux, dans tous les sens du terme. Ancien flic, il n’arrive pas à vivre dans cette époque troublée. Quelle époque ? Celle de ces groupes, de ces gangs nostalgiques de la période nazie ? Ou celle du grand espoir de changement social qui a tendance à se fondre dans un horizon gris et sale ? Ou encore celle des grands poètes allemands qui savent dire l’indicible ? L’univers de ce détective n’est pas stable. Il est comme le monde actuel fait de plaques tectoniques.

Qui est qui ? Pourquoi tant de masques ? La seule façon de les faire voler en éclats, c’est l’amour. Un amour impossible et désespéré qui oblige à fuir ou à mourir. La violence est omniprésente. Une fois encore les femmes sont les grandes victimes, quelque fois consentantes. La figure de Mia Bischoff, celle par qui l’enquête arrive, reste une énigme. Le lecteur ne sort pas intact de cette enquête de Tabor Süden, le sud – pour faire un jeu de mots récurrents dans ce roman – n’est pas là où l’on croit. Il faut découvrir cet auteur très connu en Allemagne.

 

Ces présentations sont signées Nicolas Béniès, qui tient la rubrique des polars sur l’excellent site entreleslignesentrelesmots