Kurdistan

Kurdistan : La résistance kurde face aux déséquilibres régionaux au Moyen Orient

Le conflit syrien a été dès le début, en 2011, un conflit international, qui se transforme vers une guerre régionale, voire internationale. De l’avion russe abattu par la Turquie et des avions de chasse de l’Arabie saoudite qui atterrissent sur le sol turc, aux bombardements par la Turquie, depuis quelques jours, des bases des forces kurdes en Syrie, l’Unité de défense du peuple (YPG), le risque d’un conflit armé international s’agrandit.  

Les évolutions de ces dernières semaines sont inquiétantes pour les peuples de la région, qui sont pris en otage entre plusieurs antagonismes inconciliables: le régime autoritaire syrien, les visées djihadistes de l’Etat islamique (EI), les Etats autoritaires de la région comme la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar, qui essaient de maintenir le statu quo installé après la Première Guerre mondiale et les impérialismes américain, russe, anglais, allemand et français, qui tentent d’établir de nouveaux équilibres pouvant servir leurs intérêts, certes contradictoires et enfin l’Iran qui fait son apparition comme une nouvelle force émergente avec des visées impériales dans la région.

 

Kurdish Struggle

 

L’auto-gouvernance kurde contre les visées totalitaires d’Erdogan

L’EI, soutenu principalement par la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar, n’a plus aucune crédibilité pour faire émerger un Etat sunnite dans la région. Le régime d’Assad consolide de son côté son pouvoir avec l’aide de l’Iran, du Hezbollah et de la Russie, qui pour la première fois, depuis l’intervention en Afghanistan, essaie de changer les équilibres régionaux en sa faveur. Le statu quo de la région établi dans l’année 1916, avec les accords secrets de Sykes-Picot donnant lieu à la création de la plupart des Etats superficiels de la région, comme l’Irak et la Syrie, risque de changer avec les bouleversements régionaux actuels.

Parmi les peuples en Syrie, seuls les Kurdes, représentés essentiellement par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et le YPG sont porteurs d’un projet d’émancipation démocratique. En effet, dans les trois cantons auto-décrétés au Kurdistan syrien (Rojava), les Kurdes tentent de faire émerger un système d’auto-gouvernance intégrant toutes les minorités ethniques et religieuses. Une défense militaire y est assurée, les pouvoirs législatif, exécutif et juridique y sont construits de jour en jour. Il s’agit d’une révolution «par en bas». Les femmes jouent un rôle central dans toutes les structures nouvelles. Leur présence a notamment été médiatisée avec la résistance héroïque de Kobané contre la barbarie de l’EI.

Pour pouvoir donner une viabilité à cette révolution à Rojava, le PKK a décrété des zones d’auto-­gouvernance dans plus de trente villes au Kurdistan de Turquie. Dans des villes comme Cizre, Sur (quartier historique de Diyarbakir), Silopi, Varto et Silvan, des forces d’auto-défense ont même passé à une résistance armée contre le régime du parti de la Justice et du Développement (AKP), qui prône le passage à un système présidentiel a la turca. Sa spécificité résiderait dans le transfert de tous les pouvoirs au Président, Erdogan, qui n’aurait notamment pas de sénat pour contrebalancer ses décisions. Le but est ainsi d’assurer une efficacité importante au système comme c’était le cas sous le régime nazi en Allemagne, exemple donné par Erdogan lors d’une de ses déclarations publiques.

La seule résistance effective contre ces visées totalitaires en Turquie vient du Parti démocratiques des peuples (HDP), qui a plus de 10 % de l’électorat et qui regroupe la plupart des forces démocratiques du pays. Face à la montée d’une résistance démocratique au régime et au vu des déclarations des zones d’auto-gouvernance s’inspirant de la résistance de Kobané, le régime d’AKP a cessé toute négociation avec le PKK et a mis en avant l’appareil répressif de l’Etat.

 

 

Vers une nouvelle carte de la région?

A Cizre, confrontée à deux mois de résistance, l’armée a bombardé les quartiers avec des chars sans faire de distinction entre la population civile et les milices de la jeunesse kurde. Récemment, plus de cent personnes civiles réfugiées dans des sous-sols, dont la plupart avaient été blessées lors des bombardements, ont été massacrées. Bien que plus de dix jours se soient écoulés depuis ce massacre, les cadavres, carbonisés, sont dispersés dans des morgues de plusieurs villes et ils n’ont pas encore été identifiés. Les familles attendent les résultats des autopsies. Tout laisse penser à l’utilisation de gaz prohibés par l’armée turque.

Ce jour, une résistance exemplaire des jeunes kurdes dure depuis plus de 70 jours sous les bombardements de l’armée turque. Bien que la première phase de la défense armée des zones d’auto-­gouvernance échoue pour le PKK, ce n’est qu’un début de la guerre dans des villes kurdes. Avec le début du printemps, les combats reprendront avec plus de forces. Dans des villes comme Idil, Nusaybin et Kiziltepe, de nouvelles forces de la jeunesse kurde promettent le passage à une résistance armée face aux massacres de Cizre et de Sur.

De son côté, le régime d’AKP, menacé par la résistance dans le Kurdistan de Turquie et les évolutions en Syrie, risque d’entrer dans une guerre par délégation de l’OTAN avec le but d’affaiblir la position de la Russie et de l’Iran dans la région. Dans ce contexte, les rapports de force entre la Russie et les Etats-Unis détermineront les nouveaux équilibres. La balance risque de se faire donc au dépens de la Turquie. Un tel scénario pourrait donner lieu à une guerre régionale, voire internationale. Pour les forces progressistes, il est primordial de créer un front contre la guerre et de soutenir la résistance du peuple kurde, qui est le seul à pouvoir proposer un projet d’émancipation démocratique régionale.

Hiznî Girgimî