Un Non écosocialiste aux politiques d'austérité

Un feu de circulation avec ses trois lumières au vert où figurent un vélo, une voiture et un bus. Voilà à quoi ressemble le visuel de campagne des partisans du oui à l’initiative dite «pour un financement équitable des transports» sur laquelle nous voterons le 5 juin prochain. Les initiant·e·s veulent ainsi faire croire que cette initiative permettrait un «équilibre» financier entre mobilité douce, transports publics et trafic individuel motorisé. Evidemment, il n’en est rien. Car ce texte ne propose rien de moins que d’affecter l’entier du produit des impôts sur les huiles minérales aux seules infrastructures routières. Aujourd’hui, 50 % du produit des taxes sur l’essence revient à la caisse générale de la Confédération, tandis que l’autre moitié est déjà consacrée aux infrastructures routières. Aucun de nos voisins ne pratique une politique aussi généreuse avec la route!

Cette initiative vise donc un transfert massif d’argent en faveur d’un unique bénéficiaire: la construction et l’entretien de routes et d’autoroutes. C’est un extraordinaire hold-up en faveur du lobby du béton, des camions et de la bagnole que tentent ici les associations d’automobilistes et l’USAM (Union Suisse des Arts et Métiers), au prétexte que les usagers·ères de la route seraient des «vaches à lait».

Dans les faits, les «vaches à lait» ne sont pas celles qu’on croit. La part des taxes et des impôts sur l’essence a même été divisée par deux depuis 1970, en tenant compte du renchérissement et de la baisse de consommation de la plupart des voitures– passant de 14 à 6 francs pour 100 km ; les coûts liés à l’utilisation d’une voiture sont par ailleurs restés globalement stables. Quant aux prix des transports publics, ils ont augmenté de 75 % en une génération, et rien n’indique que la tendance s’inversera, bien au contraire. Ceux·celles qui sont rançonnés aujourd’hui sont donc bien ceux·celles qui utilisent des modes de transport efficaces et écologiques.

A l’inverse, le trafic motorisé reste fortement subventionné, directement et indirectement. Mais il n’effleure jamais l’esprit d’Auto-Suisse et de l’USAM que la pollution, le bruit, les accidents et la destruction de l’environnement puissent produire des dégâts et des coûts qui ne sont jamais pris en compte dans leur étroite logique comptable. Ces «externalités» sont pourtant bien réelles, en témoignent les problèmes de santé liés au bruit, aux dépassements des pics de pollution, ou encore la crise climatique dont la mesure n’a toujours pas été prise. Or, le trafic motorisé reste, en Suisse, le premier émetteur de CO2!

Or, même si le principe du «pollueur-­payeur» n’est évidemment pas une panacée à même de résoudre la crise écologique, les taxes actuelles sur l’essence permettent au moins une redistribution – quoique trop minimale – d’une activité polluante vers les caisses de l’Etat et les services publics. Ce que nous préparerait cette initiative, c’est donc une nouvelle cure d’austérité, avec 1,5 milliards qui viendraient à manquer dans les caisses de la Confédération. À la clef, des coupes dans l’armée, l’agriculture, la formation et les transports publics. Mais dans les faits, on voit mal la majorité actuelle aux Chambres fédérales toucher significativement à la défense ou aux paysans: c’est donc bien l’éducation et la mobilité écologique qui feraient les frais d’un oui le 5 juin. À l’heure où les CFF prévoient déjà des coupes massives (550 millions par an jusqu’en 2020, puis 1,7 milliard par an jusqu’en 2030!) et la suppression d’au moins 900 postes d’ici à 2020, cette initiative viendrait encore accélérer ce processus de privatisation des chemins de fer.

Et pour quoi, au juste? Pour injecter des quantités massives d’argent pour doper un secteur qui n’en n’a pas besoin. En effet, le réseau routier suisse, largement achevé, reçoit déjà 3,7 milliards de francs chaque année, et compte parmi les plus denses d’Europe. Or, construire de nouvelles routes engendre toujours plus de trafic, ce qui ne fera qu’empirer les problèmes d’embouteillages dans les agglomérations, en plus de bétonner le paysage et la nature.

Si l’actualité a révélé récemment que plusieurs élu·e·s de droite aux chambres fédérales ont bénéficié d’un coup de pouce financier des lobbies automobiles pour leur élection en échange d’un soutien à l’initiative «vache à lait», plusieurs d’entre eux·elles ont désormais retourné leur veste. Mais ne nous y trompons pas: si une partie du camp bourgeois s’est aujourd’hui désolidarisée de cette initiative, c’est sans doute moins par désaccord idéologique sur le fond que pour des raisons de timing.

En effet, en plein débat sur la troisième réforme de la fiscalité des entreprises, sabrer 1,5 milliards supplémentaires dans le budget chargerait peut-être un peu trop la barque et compromettrait les chances de succès de la RIE 3. Sans parler du programme d’austérité – sobrement intitulé «programme de stabilisation» –annoncé cette semaine par le Conseiller fédéral en charge des finances, qui vise à couper 3 milliards de francs dans le budget fédéral d’ici 2019, saignant à mort l’aide au développement, l’éducation et la recherche et l’aide sociale.

Notre non à cette initiative n’est donc pas soluble dans celui de la droite patronale. C’est un refus écosocialiste qui défend une conception de la mobilité tournée vers l’avenir. C’est une résistance aux politiques d’austérité, en défense des services publics. Enfin, c’est un non à une vision de l’Etat où chacun se servirait comme dans un supermarché, revendiquant que les taxes payées par un secteur reviennent à ce secteur plutôt que d’alimenter le pot commun. Un peu comme si demain, les cigarettiers réclamaient le produit des taxes sur le tabac pour promouvoir la cigarette…

Thibault Schneeberger