Vers la quasi-suppression de l'impôt sur les bénéfices - Nom de code: RIE 3
Nom de code: RIE 3
La Réforme de l’imposition des entreprises III est la principale mesure de dégrèvement fiscal en faveur des entreprises depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle priverait les recettes publiques de 5 milliards par an. Le Conseil fédéral s’efforce de concilier les milieux bourgeois autour d’un projet dur, en se passant des bons offices du PS.
La RIE 3 sera vraisemblablement votée le 17 juin par les Chambres. Le PS a été tenu à l’écart des négociations sérieuses. Il n’aura joué que le rôle d’éclaireur bénévole dans les cantons de Neuchâtel et Vaud… D’où sa décision finale de lancer le référendum, et c’est tant mieux! Il importe aujourd’hui de renforcer ce front d’opposition.
L’idée de base est connue: baisser de moitié le taux d’imposition des bénéfices de la grande majorité des entreprises pour fixer un taux unique. Celui-ci devrait être tout de même attractif pour les sociétés à statuts spéciaux – elles ont un siège en Suisse mais n’y développent que peu ou pas d’activités – qui paient aujourd’hui encore moins. Neuchâtel a pris les devants en passant à 15,6 %, Vaud a fait mieux en passant à 13,8 %, et le Conseil d’Etat genevois rêve d’un taux encore plus faible…
Moins d’impôts, c’est plus d’argent pour les actionnaires (assemblée générale de Syngenta)
Quand un cadeau en cache d’autres
La RIE 3 veut des solutions compatibles avec les normes de l’Union Européenne et de l’OCDE. Cette dernière fait mine de combattre le fléau «du transfert artificiel des profits vers des pays à imposition réduite ou inexistante, où ne sont développées que peu ou pas d’activités économiques pour payer peu ou pas de taxes». Selon elle, la BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) permettrait en effet aux multinationales une évasion fiscale globale de 100 à 240 milliards de dollars.
La fixation d’un taux d’imposition de base très faible est l’objectif clé de la RIE 3. Mais elle recèle d’autres paquets-surprises, en particulier pour les entreprises taxées au régime ordinaire:
- La Patent box vise une imposition plus faible des bénéfices liés aux brevets et «autres droits comparables». C’est le bébé du secteur pharmaceutique bâlois. Bien qu’elle existe déjà dans 17 Etats de l’UE, l’OCDE en a demandé une application plus restrictive (modified nexus approach). Obligatoire, elle serait introduite seulement au niveau cantonal et pourrait réduire de 90 % l’imposition de ces bénéfices, les cantons étant libres de ne pas aller aussi loin.
- Les déductions accrues des dépenses de Recherche et Développement (R&D) existe dans plusieurs Etats de l’UE. Non cumulables à la Patent box, elles seraient facultatives et applicables au seul niveau des cantons, leur montant étant à leur discrétion. Elles se verraient majorées pour les dépenses de R&D réalisées en Suisse. Leur mise en œuvre serait moins complexe que la Patent box.
- La déduction des «intérêts notionnels», défendue en particulier par le canton de Vaud, serait obligatoire au niveau fédéral et facultative pour les cantons. Il s’agit de déduire des profits, un intérêt fictif sur les fonds propres équivalent aux intérêts rapportés par un placement du même montant sur les marchés financiers (le calcul de ce taux fait débat). Elle profiterait aux entreprises fortement capitalisées. Seuls trois Etats de l’UE connaissent ce dispositif, les Etats-Unis l’ont mis au ban et les cantons y sont fermement opposés. Pourtant, il y a des chances réelles qu’elle passe la rampe. La Confédération y perdrait 300 à 400 millions, sans parler des cantons qui l’appliqueraient.
Une seule limite est fixée à cette sous-enchère fiscale: la part des bénéfices non imposés ne pourrait pas dépasser 80 %, ce qui correspondrait, dans ce cas, à l’imposition de 20 % des bénéfices au taux de 13 %, soit un taux final de 2,6 %!
La taxe au tonnage, qui intéresse les sociétés de transport maritime, n’a pas été abandonnée, mais elle fera l’objet d’une loi séparée – le bateau de la RIE 3 étant déjà assez chargé. Par contre, l’imposition réduite des sociétés à statuts spéciaux pourra être prolongée pendant 5 ans (jusqu’en 2024 au lieu de 2019), au prétexte de «la dissolution de réserves latentes».
Brandissant le chantage à l’emploi et au marché de la sous-traitance pour les PME, les grandes entreprises se préparent sous nos yeux à ne plus payer quasiment d’impôts sur les bénéfices. Voilà le véritable enjeu de la RIE 3. Raison de plus pour nous engager dans le référendum national qui sera lancé au début de cet été.
Jean Batou