Élections en Espagne: des résultats qui font réfléchir

Élections en Espagne: des résultats qui font réfléchir


Entre la surprise et la déception, les résultats des élections locales et régionales dans l’Etat espagnol ont été reçus par la gauche comme une douche froide. Après des mois de mobilisations (les plus fortes de l’histoire depuis la transition à la démocratie), les partis de gauche comptaient sur une défaite claire de José María Aznar. Défaite il y a eu (le PSOE a gagné contre le Partido Popular), mais la droite postfranquiste a bien résisté au test. Examinons pourquoi.


Même si l’opinion publique s’est polarisée sur les enjeux gouvernementaux (politique extérieure et guerre en Irak, catastrophe du Prestige, etc.), le cadre des élections locales et régionales a été particulièrement favorable à la droite. Il faut aussi dire que la gauche modérée n’a pas été critique par rapport aux grandes lignes de la politique économique d’Aznar. Elle ne s’est risquée à un discours vraiment social, qu’en fin de campagne (de façon assez démagogique), en introduisant la question du logement dans le débat.


On notera aussi la consolidation organisationnelle du PP, qui regroupe des électeurs du centre, de la droite et même de l’extrême-droite (il n’existe pas de formation politique équivalente au Front National de Le Pen, à l’Alleanza Nazionale de Fini ou au Parti Libéral Autrichien de Jörg Haider). Une défaite politique sans écroulement organisationnel de la droite (comme ce fut le cas de l’UCD pendant la transition post-franquiste ou de la CEDA avant la Guerre civile) est un phénomène nouveau en Espagne, dont il faut prendre toute la mesure pour comprendre les résultats, et surtout pour se faire une idée de l’avenir. En outre, le pouvoir du PP a été renforcé, et ses structures consolidées, par la maîtrise du gouvernement et l’exercice du pouvoir d’Etat; cela se voit notamment dans l’armée, dans la police, et même dans certains secteurs du pouvoir judiciaire, impliqués dans la lutte contre la gauche indépendantiste basque.

Une gauche sans racines

Le rapport entre mobilisations sociales et appui aux partis de gauche n’est pas le même qu’aux temps des premières années de la démocratie. Même si le degré de mobilisation sociale a battu des records historiques, la crédibilité des partis est restée très faible. Dans le cas du Parti socialiste, son passé récent de corruption suscite le scepticisme. De leur côté, Izquierda Unida (IU) et les forces nationalistes de gauche, comme le Bloc Nationaliste Galicien (BNG), entretiennent des relations conflictuelles avec les mouvements sociaux: c’est le cas d’IU avec les altermondialistes, du BNG avec les écologistes, après la catastrophe du Prestige. Ils vivent aussi de grandes tensions internes, liées à des pratiques autoritaires et hiérarchiques, de même qu’à une idée

obsolète de l’avant-garde (c’est le cas du PCE au sein de IU). Ces problèmes se sont développés pendant les années de majorité absolue de la droite.


Les effets des politiques néolibérales de la droite sur le modèle d’organisation territorial bancal de l’Etat espagnol ont provoqué des réactions régionales aussi diverses qu’importantes. On notera, par exemple, que l’impact du Plan Hydrologique National a conduit la gauche socialiste et régionaliste au pouvoir en Aragon (la Chunta Aragonesista), alors qu’à Valence et à Murcie (régions bénéficiaires de la politique gouvernementale de l’eau), le PP a mieux résisté. Le cas le plus paradoxal est celui du Prestige en Galice, où la droite a gagné encore une fois les élections, grâce à la cohésion de ses réseaux clientélistes au sein d’une population par ailleurs très atomisée (c’est pourquoi la gauche gagne dans presque toutes les grandes villes), ainsi qu’à de fortes promesses gouvernementales. De même, le développement de la politique sécuritaire, dans le cadre du conflit basque, ont renforcé le nationalisme espagnol sur tout le territoire au bénéfice des deux grandes partis du consensus nationaliste d’Etat, dit «constitutionaliste» (PSOE et PP), mais aussi au détriment de la vision fédéraliste d’Izquierda Unida, ébranlée de l’intérieur par le nationalisme espagnol des secteurs post-staliniens du PCE.


Dans un tel contexte, l’affirmation politique, sur le plan électoral, d’une gauche anticapitaliste qui combatte frontalement les mesures néolibérales suppose: (1) des candidatures électorales qui incarnent clairement des luttes populaires importantes; (2) le développement d’une démocratie participative au sein des organisations et mouvements en présence; (3) un programme original qui mette en place de véritables alternatives au néolibéralisme dans le cadre d’un processus créatif et coordonné au sein des mouvements sociaux et de leurs mobilisations; (4) une reconnaissance des droits nationaux des minorités, ainsi que de la multiculturalité croissante de l’Etat espagnol, liée a l’immigration.


Raimundo Viejo Viñas


Etat espagnol
Résultats électoraux locaux et régionaux en %

2003 1999
PSOE 34.71 34.26
PP 33.84 34.44
IU 6.06 6.52
CIU 3.44 3.63
PNV 2.12 1.74
ICV-EPM 1.46 1.08
BNG 1.42 1.36

Sigles: PSOE (Parti socialiste); PP (Parti populaire); IU (Gauche Unie); CiU (Alliance nationaliste catalane); PNV (Parti Nationaliste Basque); ICV-EPM (Verts et gauche alternative de Catalogne); BNG (Bloc Nationaliste Galicien).