RIE3

RIE3 : Soustraire les profits à l'impôt? Non!

Il y a beaucoup de confusion sur le contenu réel de la Troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE 3). Fondamentalement, il s’agit de réduire très fortement la taxation des bénéfices de toutes les sociétés, ce qui profiterait surtout aux plus grandes et aux plus profitables d’entre elles, aux dépens des caisses de la Confédération, des cantons et des communes.

La droite  et les milieux patronaux veulent favoriser l’accumulation du capital en réduisant à presque rien la part des profits affectée à des tâches d’utilité publique par le biais de l’impôt. Pour autant, la plupart des PME n’en tireraient que très peu d’avantages, d’où l’enthousiasme modéré de leur faîtière, l’Union suisse des arts et métiers (USAM). Et ce serait aux salarié·e·s, aux jeunes en formation, aux retraité·e·s d’en payer la facture au prix fort, puisque le financement solidaire des services publics et des assurances sociales en pâtirait lourdement.

Tour de passe-passe

Officiellement, la RIE 3 a été conçue pour répondre aux pressions de l’Union européenne (UE) et de l’OCDE, qui exigent que la Suisse abandonne les statuts fiscaux préférentiels des holdings, sociétés mixtes et sociétés de domicile. Ces entreprises sont des multinationales d’un type particulier, qui développent leurs activités exclusivement (ou presque) à l’étranger. Elles disposent d’un siège en Suisse, qui s’occupe de négoce international, de financement intragroupe, de valorisation de licences, de gestion de participations, de contrôles différents, etc. Leur localisation tient compte de divers paramètres: fiscalité, infrastructures, services juridiques et financiers, qualification de la main d’œuvre, règles de droit, climat politique, secret des affaires…

Avec la suppression de leur statut fiscal privilégié, le taux d’imposition de ces sociétés devrait augmenter, ce qui reste à vérifier. A Genève, par exemple, où leur présence est importante, l’Administration des finances estime qu’elles payeraient 200 millions de plus d’impôts. En revanche, pour maintenir (et accroître) l’attractivité fiscale de la Suisse, la RIE 3 prévoit en même temps de réduire massivement le taux d’imposition de l’ensemble des autres entreprises. Pour reprendre l’exemple genevois, ces dernières payeraient 800 millions d’impôts en moins. Et ces chiffres font largement l’impasse sur l’impact supplémentaire à moyen terme d’une série de nouvelles déductions, introduites en sus de la baisse des taux, dont bénéficieraient aussi les holdings (cf. encadré).

Savoir dire non

Personne ne peut s’aventurer à prévoir le manque à gagner global pour les caisses publiques qui résulterait de la RIE 3. Dans l’immédiat, la Confédération devrait y perdre au moins 1,3 milliard ; les cantons, au moins 2,1 milliards, en extrapolant les chiffres avancés par Genève, Vaud et Zurich. Enfin, l’ensemble des communes, 1,3 milliard, selon une évaluation de l’Union des villes suisses. D’où un total cumulé de 4,7 milliards au minimum… qui ne tient pas compte de l’impact croissant des déductions supplémentaires admises (NID, Patent Box, R&D, etc.), régulées en partie par les cantons, dont les freins seront desserrés à mesure que le dumping fiscal se durcira.

En dépit de ces éléments, certains PS cantonaux ont mordu très tôt à l’hameçon, préparant ainsi le terrain à l’une des réformes suisses les plus antisociales depuis la Seconde guerre mondiale. Après le magistrat neuchâtelois Jean Studer, poisson-pilote de la baisse de l’imposition des entreprises, porté pour cela, depuis 2012, à la tête du Conseil de la BNS, le vaudois Pierre-Yves Maillard a joué sa réputation d’« homme de gauche » en faisant plébisciter l’avant-projet cantonal de la RIE 3, tandis que la ministre bâloise des Finances, Eva Herzog, s’oppose aujourd’hui au référendum contre cette disposition fédérale, pourtant soutenue in extremis par la direction nationale de son parti.

Pour une politique de gauche indépendante

Le front référendaire aura été bien mal servi par ce double discours du PS, et il faut espérer que les militant·e·s de ce parti en tireront les conséquences… Dans l’immédiat, la gauche combative doit s’atteler à la mobilisation dans la rue, au coude à coude, autour des stands de récolte de signatures, sans pour autant renoncer au débat en vue de reconstruire une politique de gauche indépendante, qui défende les intérêts des travailleurs·euses et de l’écrasante majorité des habitant·e·s de ce pays contre ceux des milieux dominants.

Jean Batou

Les feuilles référendaires sont téléchargeables sur solidarites.ch


LA RIE 3 ADOPTÉE LE 17 JUIN 2016

  • Suppression des statuts cantonaux spéciaux: les holdings, sociétés mixtes et sociétés de domicile seraient taxées plus fortement après une période transitoire de 5 ans.
  • Réduction du taux d’imposition des bénéfices dans les cantons: l’ensemble des sociétés verraient leur taux d’imposition baisser massivement.
  • Déduction des «intérêts notionnels» (NID): des intérêts théoriques pourraient être déduits par les entreprises les plus fortement capitalisées.
  • Exonération partielle ou totale des réserves latentes: elle bénéficierait aux entreprises qui changent de statut ou qui viennent s’établir en Suisse.
  • Déduction des bénéfices provenant de brevets et droits comparables (Patent Box): ils pourraient être exonérés jusqu’à 90 % au plan cantonal.
  • Super-déduction sur les dépenses de recherche et développement: appliquée par les cantons, elle pourrait atteindre 150% de ces dépenses effectuées en Suisse.
  • Fixation d’un seuil minimum de 20% des bénéfices imposés: les cantons pourraient le relever à leur guise.
  • Augmentation de la part cantonale de l’IFD de 17 à 21,2%: elle représenterait un transfert de 1,1 milliard de la Confédération aux cantons pour compenser une partie de leurs pertes.
  • Report de l’abolition du droit de timbre d’émission et de l’introduction d’une taxe au tonnage: ils seraient introduits ultérieurement par d’autres lois.
  • Abandon du projet d’engager des inspecteurs fiscaux supplémentaires.