La caravane passe, les propriétaires aboient et la police s'en mêle

Le vendredi 12 août dernier, le propriétaire d’une maison à l’abandon au Petit-Saconnex évacuait, avec le concours de la police, David et sa caravane qui occupaient le jardin. Une histoire qui ne va pas sans poser problème, et qui pourrait faire renaitre un collectif actif sur ces questions.

Il y a quelques mois, David, un jeune étudiant, repère une maison à l’abandon, détruite en partie volontairement par le propriétaire, dans une petite rue résidentielle du Petit-Saconnex. Par le passé, cette bâtisse et le terrain la jouxtant ont été le lieu de multiples occupations parfois problématiques, au grand dam du voisinage. David, cherchant un lieu pour déposer la caravane où il habite actuellement, essaie de contacter le propriétaire pour lui proposer de s’occuper du jardin en contrepartie de l’usage du terrain.

Une occupation profitable

Sans réponse aucune malgré plusieurs relances, David décide donc de s’installer et de s’occuper de ce terrain laissé en friche. Le gros travail qu’il fournit pour rendre cet endroit acceptable, son sens du contact et son ouverture lui permettent de gagner les faveurs de nombreux membres du voisinage et de l’association d’habitants du quartier. En effet, voilà des années que cette maison abandonnée représentait une nuisance visuelle, mais aussi sociale, que la présence de David a durablement modifiée.

Le propriétaire répond enfin… par la menace

Et puis, d’un coup, le propriétaire menace David. S’il ne libère pas le terrain dans les 48 heures, il lui enverra la police pour le déloger. Cette menace s’accompagne de plaintes pénales et civiles. Alors qu’aucun projet de construction n’est déposé et qu’aucune construction ne pourra voir le jour avant 2021, le propriétaire refuse d’entrer en discussion tant sur un contrat de confiance que sur un délai de départ permettant à David de trouver une solution.

A la suite du durcissement de la discussion, une mobilisation se crée et c’est plus d’une cinquantaine de personnes, dont notre magistrat Rémy Pagani, qui viennent soutenir David à la fin du délai de 48 heures. Cette mobilisation a permis de repousser une expulsion qui est cependant intervenue quelques jours plus tard.

Une expulsion coordonnée

En effet, lundi 15 août, à 6 heures du matin, une douzaine de policiers en tenues d’intervention, accompagnée par un inspecteur de la BRIC, ancienne brigade anti-squat, appréhendent David. Le motif? L’emmener au poste pour être auditionné… Peu après son interpellation, une dépanneuse, escortée par un employé d’une compagnie de sécurité privée, tous deux payés par le propriétaire, commencent à évacuer la caravane de David, ceci sous l’œil attentif, pour ne pas dire avec la complicité de la police. Après négociations, les soutiens de David réussissent à reprendre eux-mêmes possession de la caravane et l’emmènent sur le terrain d’une voisine plus accueillante.

Une expulsion illégale?

Cette expulsion, même si la police s’en défend, pose de véritables problèmes tant juridiques que politiques. En effet, nous pouvons sans autre affirmer que cette intervention s’est déroulée en dehors du cadre légal et qu’elle questionne le fonctionnement de la police ainsi que les droits des propriétaires.

Tout d’abord, il convient de rappeler que lorsqu’un propriétaire s’aperçoit que son bien est occupé, il a 48 heures pour faire valoir ses droits sur la possession. Passé ce délai, il est considéré que l’occupant entre en possession du bien. Cette règle est applicable tant pour une occupation que pour une sous-location par exemple. Ainsi, la personne présente est en possession du bien et la loi interdit de le déposséder sans jugement. On ne peut pas par exemple, expulser un sous-locataire du jour au lendemain.

Dès lors, l’action du propriétaire de déloger David était en contradiction avec le droit et les plaintes qu’il a déposées. Il aurait dû attendre un jugement lui permettant d’expulser David et non pas passer en force au mépris des droits de l’occupant.

La police soutient le propriétaire, mais se lave les mains

La police a bien compris le caractère illégal de cette intervention puisqu’elle a insisté sur le fait que ce n’était pas une expulsion. En travaillant de concert avec le propriétaire, les forces de l’ordre contournent la justice, ne prennent pas la responsabilité de l’action et instaurent un rapport de force au lieu de respecter l’Etat de droit. Ceci est d’autant plus problématique que la police a interpelé David pour l’auditionner, alors qu’une simple convocation aurait suffi, comme le veut l’usage.

Un collectif en construction

Ces manières de faire de la police et des propriétaires qui contournent allégrement la loi ne sauraient être tolérés, car au-delà du cas de David, il en va des intérêts des locataires et des sous-locataires. Cette histoire nous rappelle l’importance de l’outil que constituent les contrats de confiance, mais aussi que l’absence d’opposition à ce genre de pratiques laisse la possibilité à la police de rendre justice dans la rue et fragilise la position déjà faible des sous-locataires très souvent confrontés à des expulsions forcées.

Forts de ces constats, différents groupes politiques, associations et individus, ont décidé de constituer un collectif de soutien qui aura pour but de continuer le combat mené par David, mais également de se battre pour la réintroduction des contrats de confiance, pour le rétablissement du respect du cadre légal par les propriétaires et les forces publiques et la protection des locataires et sous-locataires face aux expulsions.

Un premier pas qui aura lieu le 31 août à 19 h 15 au local de solidaritéS.

Pablo Cruchon