Alpen Peak
Alpen Peak : Un far west patronal
La grève d’Alpen Peak International à Ste-Croix (VD) et St-Sulpice (NE) est symptomatique de pratiques mafieuses qui font système et qui ont des impacts humains, sociaux et économiques désastreux. Des situations similaires ont également été dénoncées par les syndicats tels les chantiers Syngenta à Monthey ou Astro à Genève. Elles révèlent l’insuffisance de la régulation du travail en Suisse et des mesures d’accompagnements. solidaritéS a été la première organisation politique à apporter son soutien à Ste-Croix.
Pour rappel, les 6 grévistes travaillent pour Alpen Peak International (API), une société boîte aux lettres domiciliée à Neuchâtel. L’employeur a obtenu des permis G de frontalier en affirmant que les travailleurs habitaient en France voisine alors qu’ils n’y avaient jamais résidé. En Pologne, les travailleurs ont répondu à une annonce Internet. Une fois en Suisse, le logement se faisait sur les chantiers pour un loyer exorbitant. Les conditions de travail ne respectaient pas le cadre légal ou conventionnel. La sécurité n’était pas assurée. Les contrats contenaient des dispositions illégales et les fiches de salaire étaient trafiquées. Le paiement des impôts et des cotisations sociales n’étaient pas établi.
Au total, une douzaine de salariés ont travaillé sur ces chantiers dont seuls la moitié sont restés. Ils affirment avoir travaillé en France, en Allemagne ou en Italie sans avoir jamais rencontré de telles conditions.
Des actions pour obtenir une négociation
Les travailleurs d’API ont fait face à un réseau d’entreprises mêlant fiduciaires, gérances et sociétés immobilières, entreprises de construction et de rénovation qui ont démontré une absence totale de scrupule. Leur objectif était assez simple: acquérir des biens immobiliers, les transformer et les rénover à bas coûts pour les revendre au prix fort. Les travailleurs ont effectué de nombreux travaux allant de la rénovation à la construction en passant par le bûcheronnage et le jardinage. Bien entendu, ces conditions ont permis de casser les prix du marché afin d’obtenir des mandats privés, et peut-être publics. Il est clair que cette sous-enchère a eu un impact sur le tissu économique de la région et sur l’emploi. Après 13 jours de grève et d’actions, des négociations ont enfin débuté sans toutefois avoir la moindre garantie que les droits des travailleurs soient respectés. Si les protagonistes ont accepté de négocier, c’est surtout car leur réputation personnelle était compromise et non pas par crainte de l’application du cadre légal.
Un cadre légal insuffisant
En Suisse, le secteur du bâtiment dispose de conventions collectives relativement protectrices. Le mouvement ouvrier a historiquement obtenu la reconnaissance d’un certain nombre de droits. Malgré cela, de nombreux cas de sous-enchère salariale sont avérés. L’existence de salaires minimaux conventionnels facilitent la constatation de sous-enchère. Dans de nombreux secteurs, il est beaucoup plus difficile de le faire en raison de l’absence de salaires de référence clairs fixés par les commissions tripartites.
Toutefois, les travailleurs·euses du bâtiment font face à de nombreux obstacles pour la simple application du cadre légal. En effet, il n’est pas aisé de contrôler le secteur en raison de l’organisation même de l’activité. Lorsque ces contrôles aboutissent à des infractions, il est difficile de faire valoir les droits des travailleurs·euses. Enfin, le montant des rattrapages et des sanctions n’est que peu dissuasif pour les grandes entreprises impliquées.
Devant l’impunité que leur confère le système, les employeurs impliqués dans le cas d’Alpen Peak n’ont pas respecté un cadre légal pourtant déjà très permissif. Sans l’intervention syndicale, ces pratiques auraient perduré. Il y a fort à parier qu’ailleurs et dans d’autres secteurs d’activités le même type d’exploitation est à l’œuvre. En Suisse, un patronat cupide et sans scrupule a donc le champs libre pour importer et exploiter de la main d’oeuvre bon marché. Le cadre légal autorise la dilution des responsabilités au sein de réseau de sociétés anonymes ou à responsabilité limitée. Il protège de manière insuffisante la santé et les droits des travailleurs·euses. Il ne prévoit pas de mesures de contrôle efficaces et de sanctions dissuasives.
Des mesures d’accompagnement déficientes
Si l’exploitation des travailleurs·euses est une pratique préexistante à la libre-circulation, la faiblesse des mesures d’accompagnement a exacerbé la mise en concurrence des salarié·e·s. Cette situation alimente en conséquence les discours xénophobes et fait le lit de la division du mouvement ouvrier. Il est donc important de conditionner cette libre-circulation à une meilleure protection des travailleurs·euses à travers la mise en place de salaires minimaux et la réduction du temps de travail, à des droits syndicaux qui favorisent le contrôle des conditions de travail par les travailleurs·euses et à une responsabilisation accrue des pouvoirs publics et du patronat par un système de sanction dissuasif.
Il semble à ce jour évident que les propositions parlementaires pour l’application des votations du 9 février 2014 ne sont que de la poudre aux yeux et ne vont pas éteindre les feux allumés. Les capitalistes confirment de la sorte qu’ils sont prêts à vendre la corde pour les pendre.
Sébastien Schnyder