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A lire : Afrolitt', combattre le racisme par la littérature

Afrolitt’, groupe de discussion sur la littérature d’Afrique et de sa diaspora, est né à Lausanne en mai 2016. Ouverte à toutes et tous, la prochaine séance aura lieu le 8 décembre au cinéma Obló de 19 h 45 à 22 h. Elle se fera autour du roman Ghana Must GoLe ravissement des innocents – de Taiye Selasi.


Pamela Ohene-Nyako

Pamela Ohene-Nyako, jeune femme de 25 ans qui a créé Afrolitt’, a plein d’énergie à revendre. Sa devise: «A body without books is like body without a soul»! Chez elle, body and soul sont le fruit de quatre continents: l’Europe et l’Asie (par sa mère), l’Afrique (par son père) et le Roman (par elle-même). Une belle ouverture sur le monde qui se traduit par ses activités intellectuelles et militantes. Etudiante en histoire, elle est également engagée dans différents collectifs de lutte contre le racisme, participe au groupe PostCit (pour «Penser la différence raciale et postcoloniale»), le collectif Afro-Suisse ou encore l’Alliance contre le profilage racial.

Du racisme en Suisse

Dans un contexte où le racisme se manifeste de façon toujours plus décomplexée, ces collectifs sont très importants. En l’espace de deux semaines, l’actualité vaudoise a été marquée par la volonté de groupes d’extrême droite de se réunir à Lausanne, par le fait qu’un jeune homme de 31 ans ait été violemment frappé par la police qui croyait, à tort (et alors…), avoir trouvé un dealer en raison de sa couleur de peau (lire ci-dessous) ou encore par la mort, à Bex, d’un jeune d’origine congolaise descendu par la police lors d’une altercation. «Combien de mes potes ont été interpelés par la police alors qu’ils discutaient simplement dans la rue», raconte Pamela, «quand ils demandent pourquoi, on leur répond: vous correspondez au profil signalé». Couleur de peau.

Elle ajoute qu’il est difficile de lutter contre le racisme en Suisse car il s’exprime de façon latente, rampante ou alors dans les urnes mais jamais frontalement: «dès qu’on s’exprime là-dessus, on est vite mise au silence. ‹ Mais non tu exagères! ›, nous dit-on. » Comment en finir avec les discriminations qui déshumanisent celles et ceux dont la teinte est marquée par des siècles de préjugés raciaux? Où trouver les ressources pour comprendre d’où viennent ces discriminations et pour les combattre?

Quand l’art devient politique et que la politique devient art

La littérature est un moyen. Pamela Ohene-Nyako en est convaincue. Mais qu’apporte-t-elle de différent? Dans l’esprit d’Afrolitt’, la littérature africaine et de sa diaspora n’a rien d’un divertissement ou d’un voyage vers l’exotisme comme cherchent à la vendre les maisons d’éditions. Cette littérature oblige à réfléchir sur la société et sur soi, car elle est toujours profondément politique. Un·e auteur·e Noir·e est en effet amené·e à aborder la question raciale qui le·la sur-détermine. Il·elle se met ainsi à mettre des mots sur une expérience susceptible de faire résonnance chez des millions de personnes dispersées à travers le monde.

Le roman offre en outre une marge de liberté que n’autorise pas les ouvrages scientifiques: une plongée dans le monde de la subjectivité, celui des sens, celui de l’autoréflexion et de l’empathie. Tout cela pousse à l’identification et donc au désir de changement, individuel ou collectif. Cette démarche est bien illustrée par Toni Morison, prix Nobel de littérature, au centre de la deuxième séance d’Afrolitt’. Pour elle, écrire «c’est faire apparaître les gens ordinaires qui ne sont pas dans les livres d’histoire. Créer des personnages et, à travers eux, tenter de donner, non pas à voir, mais littéralement à sentir ce qu’ont éprouvé intimement les individus, ce qu’ils ont enduré, en des époques dont on a parfois oublié ou négligé la face sombre» (Télérama, 25 août 2012). Et l’auteur le dit sans détour: «j’écris pour les Noirs, je n’ai pas à m’en excuser. […] J’ai passé ma vie entière à essayer de faire en sorte que le paradigme occidental ne soit dominant dans aucun de mes livres». Donner à entendre et sentir ce qu’est le racisme, n’est-ce pas le premier pas pour s’en affranchir?

Isabelle Lucas