Italie: renforcer la lutte sociale pour construire une alternative politique
Renforcer la lutte sociale pour construire une alternative politique
Felice Mometti, du Parti de la Refondation Communiste et membre de la Coordination nationale du Forum Social Italien, nous livre une première appréciation politique de la conjoncture sociale et politique italienne au lendemain de limportante échéance du référendum sur lextension de larticle 18 du Statut des travailleurs. (réd)
Cela ne fait pas de doute: le référendum sur lextension de larticle 18 du Statut des travailleurs sest soldé par un échec (à peine le quart de lélectorat sest exprimé, alors quil en fallait au moins la moitié pour quil soit valable, ndlr). Mais il ne faut pas sarrêter à ce seul résultat chiffré, ni à une interprétation à la lumière des différents projets politiques en présence. Il sagit plutôt den saisir la signification, den identifier lorigine et de replacer ce résultat dans la phase politique actuelle pour dégager ses effets probables dans la période à venir. Seulement une réflexion inscrite dans une telle perspective peut donner un visage aux quelques 11 millions de citoyens qui ont transgressé les consignes de tous les appareils nationaux industriels (fédérations patronales), politiques (partis) et syndicaux (seule la CGIL le soutenait, ndlr) pour aller déposer un OUI dans les urnes les 15 et 16 juin.
Référendum: mode demploi
Ce référendum aurait-il été possible il y a quelques années? Le front qui la porté aurait-il eu la même crédibilité et le même élan militant sans une telle initiative politique? Dans les faits, il est probable que ce référendum ne soit quune défaite dans une phase où le mouvement cherche des voies pour remonter la pente. De ce point de vue, le référendum représente une tentative de renverser la tendance. A la lumière de son résultat, on peut dire que ce référendum a permis de mesurer la donne sociale plutôt que den produire une autre. Une nouvelle phase sest ouverte cependant. Il est en effet à nouveau possible, après bien longtemps, de parler de lutte contre la précarisation, dextension des droits et danti(néo)libéralisme.
A certains égards on pourrait dire que le résultat du référendum est une sorte dindicateur du «niveau de lutte de classe», un coefficient qui mesure lintensité de la résistance sociale aux politiques (néo)libérales, avec un supplément découlant de la nature offensive de la revendication dextension dun droit fondamental. Ce gradient est, en létat, dun niveau encore insuffisant. Son amélioration repose sur plusieurs facteurs: sur la capacité de relancer la lutte sur le terrain, sur lefficacité de laction politique de Rifondazione Comunista, sur la capacité de mener une analyse serrée sur le rôle et la nature du mouvement. Laction doit viser avant tout à modifier les rapports de forces qui sont défavorables.
Résistance et lutte de classe
Cest dans cette optique que nous pouvons dégager des perspectives politiques. Il faut avant tout rétablir le lien entre question sociale et lutte politique. Une des responsabilités les plus graves de lUlivo (coalition de partis dopposition de centre-gauche, ndlr) et des DS (démocrates de gauche, majorité de lex-PCI, ndlr) ce nest pas tellement celle davoir déclaré leur opposition au référendum, mais bien davantage celle davoir appelé à labstention, favorisant de la sorte lautonomisation du politique par rapport à une question de nature sociale. Alors que la force du référendum consistait justement à transférer dans le politique, en essayant de linfléchir, un aspect clé de la «question sociale». Cest pour cette raison quil représentait potentiellement le meilleur débouché à deux ans de mouvement de lutte. Ce lien entre question sociale et combat politique peut se reconstruire avant tout en accordant une priorité à lopposition sociale et en cherchant à infléchir les rapports de forces défavorables actuels.
Une plateforme en mouvement
Dès aujourdhui les Comités pour le OUI et les structures du mouvement devraient travailler à une plateforme commune contre le gouvernement. Celle-ci devrait articuler trois positions centrales: 1) lopposition à la réforme du marché du travail au nom dune inflexible rigidité des droits des salarié-e-s contre la précarisation demandée par les patrons et octroyée par le gouvernement; 2) la défense de lEtat social, ici et maintenant, en phase avec lélan analogue qui se dessine à léchelle européenne; 3) une bataille pour la défense et lextension des droits démocratiques, en premier lieu ceux des migrant-e-s, qui en donnent la meilleure mesure dans une société où la loi et les règles devraient être égales pour tout le monde
Cette plateforme ne saurait néanmoins suffire. Il lui faut des prolongements appropriés. Les Comités pour le OUI, et le Regroupement national contre la précarité, ont émergé comme des lieux possibles de convergence de différents sujets et forces sociales, syndicales et politiques, qui se sont battues ensemble contre la précarisation. Le phénomène de précarisation est aussi un bon indicateur de laffrontement de classe en cours. Cest le projet-phare du patronat italien et international, lequel, après avoir gagné la «paix salariale» sen prend maintenant aux droits fondamentaux.
Unité et radicalité
Sil existe un nouveau prolétariat, un nouveau mouvement ouvrier, sa lutte fondatrice doit certainement viser à combattre la précarisation de sa propre existence. Cest pour cela que le syndicat est indispensable, mais il ne suffit pas. Il faut pouvoir intervenir aussi bien à lintérieur quà lextérieur du processus de production, sur le front des luttes comme sur celui des normes, en unissant des forces très différentes les unes des autres. La forme pourrait être celle du Réseau au sein duquel il faudrait faire converger des expériences différentes mais avec des objectifs communs.
La question sociale laction sur les rapports de forces entre les classes devient ainsi la véritable priorité politique de cette phase. Lopposition sociale est linstrument avec lequel on peut mesurer la capacité de parler au pays, de donner une perspective immédiate à ces 10 millions de votant-e-s et de leur offrir la possibilité de se lier à celles/ceux qui nont pas voté mais qui sont prêts à se battre pour leurs droits. Si là se situe notre priorité, le rapport avec les forces du centre-gauche ne peut quêtre subordonné à la capacité de construire un chemin commun de luttes sur lequel mesurer convergences et divergences.
Quelles alliances?
On ne peut cependant pas nourrir de doutes sur la nature du centre-gauche: sa direction est prioritairement suspendue à la reconnaissance que voudra bien lui accorder le patronat italien et international (de la Confindustria au FMI). Mais, dun autre côté, nous savons reconnaître la demande dunité qui émane de secteurs populaires très larges, pressés den finir avec le gouvernement Berlusconi. Une demande populaire faite à la fois dunité et de radicalité. Et la seule manière de lui assurer une existence concrète, éloignée des cabinets secrets et des alchimies politiques, cest de la faire vivre dans lopposition sociale, dans un processus de luttes: sociales, syndicales, et politiques.
Voilà le défi qui doit être posé aux forces du centre-gauche, aux mouvements, aux syndicats, ainsi quaux forces antagonistes: construire lunité des luttes autour de revendications partagées. Seul la mise en oeuvre de ce processus, et donc ladhésion aux besoins populaires et de classe, peut fournir des indications sur la configuration concrète de lalliance qui devra battre Berlusconi. Le reste risquerait dêtre une «fuite politicienne», fonctionnelle à la manuvre politique, mais peu utile au renforcement du mouvement et à lémergence dune alternative sociale au (néo)libéralisme.
Felice MOMETTI