Thérèse Clerc, militante jusqu'au dernier souffle

Lauréat de la Queer Palm au festival de Cannes de 2016, le documentaire Les Vies de Thérèse retrace, entrecoupé d’images d’archive, les dernières semaines de la vie de Thérèse Clerc, militante féministe atteinte d’un cancer foudroyant. Dans la continuité du film Les Invisibles (César du meilleur documentaire 2012), et dans lequel apparaissait déjà Thérèse, le réalisateur Sébastien Lifshitz livre ainsi un hommage vibrant à cette figure historique du féminisme militant, du combat pour l’avortement et des luttes homosexuelles. A l’occasion de l’avant-première au Cinéma CityClub* de Pully, des membres du Groupe de travail Genres et sociétés (GTGS) de solidaritéS Vaud se sont entretenues avec le cinéaste français.

Pourquoi avoir accepté de filmer Thérèse Clerc dans ses derniers moments de vie?

J’ai fait ce film parce qu’elle me l’a demandé. Au départ, cela me semblait insensé de faire un film comme celui-ci. Qu’est-ce que je vais raconter? Qu’est-ce que je vais filmer? Quelles sont les limites? J’avais peur de tomber dans le voyeurisme. Quand Thérèse m’a appelé pour me demander de faire ce film, je suis allé la voir. Elle était assise au fond de son salon, dans un état de maigreur tel qu’on la voit dans le film. Elle m’a regardé, m’a fait un immense sourire et voilà, j’étais foutu (rires). Mon désir a été de la soutenir, de l’accompagner et d’honorer son courage. Je me suis mis dans ses pas et ai essayé d’aller au plus près de ce qu’elle désirait.

Pour moi, tout l’intérêt était d’utiliser les situations les plus intimes, pour montrer que le privé est politique. Chaque vie, chaque témoignage porte en lui-même un discours politique fort et d’autant plus nécessaire qu’il est invisible, puisque privé. J’ai cherché à regarder vivre quelqu’un, voir de quelle manière cette vie a valeur d’exemple pour dire quelque chose de la société, mettre en jeu certains combats qui étaient chers à Thérèse.

Dans le film, Thérèse fait référence à son homosexualité comme outil politique. Qu’est-ce que tu peux nous dire à ce sujet?

Dans le film, l’un de ses fils dit que Thérèse était une femme de plaisir. Il ne veut pas définir son orientation, la réduire. Je pense que c’était avant tout une femme qui était dans la jouissance et qui la prenait là où elle la trouvait. Ceci dit, il est vrai que la génération de Thérèse a pensé et acté la lutte des sexes, et que l’homosexualité faisait partie de la militance. Evidemment, on ne forçait pas les féministes à devenir homosexuelles. Mais dans ce contexte de lutte politique, beaucoup de femmes ressentaient la nécessité de se couper des hommes pour pouvoir mieux affirmer et faire entendre leurs causes.

Et il y avait aussi cette part très expérimentale de la sexualité qui était propre à la fin des années soixante. Il fallait faire imploser la famille traditionnelle, toutes ses valeurs bourgeoises, l’institution du mariage. Tout cela a été totalement remis en cause. Il ne fallait plus reproduire mais au contraire inventer un autre rapport à l’amour, au sexe, à la liberté.

Cette histoire du féminisme s’inscrit aussi dans cette part d’expérimentation. Je pense que ce dont les femmes aujourd’hui ne se rendent pas toujours compte, c’est qu’on parle d’une époque où elles étaient très contraintes. Dans la période de l’après-guerre, il a fallu du temps pour que les femmes se libèrent économiquement, intellectuellement, sexuellement. Elles ne faisaient que reproduire des schémas d’enfermement. Il a fallu toutes ces luttes pour qu’à un moment se repense la relation à l’homme. Et encore aujourd’hui, il y a énormément à faire pour les droits des femmes. L’Histoire nous apprend aussi que rien n’est acquis, il y a toujours des réactionnaires pour venir s’opposer à ces libertés et ces droits auxquels il faut veiller. Thérèse était à la fois une guerrière et une veilleuse.

Propos recueillis par

Marie Jolliet Valentine Loup Olaya Soto

*en salles jusqu’au 29 janvier