Bandes dessinées féministes en lutte

Peggy Adam est une auteure de bande-dessinée (solidaritéS, nº 299) vivant à Genève. Publiée entre 2005 et 2016, la série Plus ou moins dépeint les parcours de 4 jeunes femmes entre 25 et 30 ans. Une façon pour l’auteure de questionner les représentations dominantes actuelles de « la féminité » qui réduisent les femmes à leur corps biologique, dans une violence quotidienne.

Plus ou moins… le printemps
Editions Atrabile, 2005

A l’instar de sa couverture verte à fleurs, le premier tome débute au printemps: symbole de renouveau de la nature et de fertilité. D’emblée, des illustrations de moyens de contraception tranchent avec cette représentation naturaliste, légitimée et souvent relayée par des médecins, qui réduit le corps de la femme au corps reproducteur. Lorsque Marie dévoile sa grossesse à son amie Véra, son discours traduit un conformisme tenace vis-à-vis de l’injonction à être mère. Un discours d’autant plus aliénant qu’elle perçoit son futur enfant comme un moyen pragmatique de sauver son couple, comme l’unique façon de «se sentir femme» aux dires de sa grand-mère et qu’«à 26 ans, il est bien temps qu’[elle] en fasse un». Bien que Véra hurle au scandale féministe «Youhou! de Beauvoir, Veil, […], le droit à l’avortement ça te dit quelque chose! », elle n’offre pas de réel secours à son amie, pire, elle la rabaisse. L’intégration du discours naturaliste marque aussi Josie, née biologiquement homme et affirmant son besoin d’être perçue comme une «vraie femme», «avec un vagin». Ce conformisme dépeint le caractère asservissant du discours naturaliste tout en niant ses effets: le genre n’est pas naturel mais bien une construction sociale dominante à laquelle chacun·e doit se conformer sous peine d’être marginalisé·e.

Plus ou moins… l’Été
Editions Atrabile, 2006

Véra, Marie et Sylvie partent à la mer pour l’été. Mais contrairement à une saison estivale vivante et abondante, c’est la précarité de la vie et les drames vécus par les personnages que l’auteure raconte. Véra manque de se noyer suite à une vision du fantôme de sa mère la traitant de «petite trainée» qui «finira prostituée». Ces invectives moralisantes, Véra en est la victime répétée, tant psychologiquement que physiquement: Tom, le partenaire de Sylvie tente de violer Véra. Pour Marie, la décision d’avorter est prise, mais le médecin se fait juge et humilie la jeune femme: «Un vrai carnage…c’est ça que vous désirez? Je ne vous cache pas que je vous trouve quelque peu irresponsable». Tourmentée, elle ne cède pourtant pas à la pression sociale.

Plus ou moins… l’automne
Éditions Atrabile, 2007

Les feuilles tombent, c’est la saison des morts. Josie, son opération réalisée, retourne à Juarez, sa ville d’origine. Dans une vision, elle rencontre ses défuntes mère et tante puis assiste à un masculicide. Un clin d’œil de l’auteure à son ouvrage Luchadoras qui raconte les réels féminicides ayant lieu à Juarez. Les fantômes errent partout. Véra est confrontée à de sérieuses hallucinations de son père décédé: la pressant contre lui, Véra, redevenue enfant, se fait absorber par son corps, ravivant la mémoire d’actes incestueux subis. De son côté, Marie voit le décès futur de sa grand-mère dans un rêve et part en Guadeloupe retrouver sa famille. Elle se confronte à sa mère qui lui avoue n’avoir jamais voulu d’elle, cédant finalement pour «faire plaisir à [son] père». La désillusion se lit sur le visage de Marie alors que le discours naturaliste s’effondre tel un château de cartes.

Plus ou moins… l’hiver
Editions Atrabile, 2016

Paru neuf ans plus tard, le quatrième album de la série perce les consciences des personnages au plus profond. Visions, rêves et intrusions fantastiques se succèdent. Véra se remet difficilement de son agression par Tom – partenaire de Sylvie – qui n’a pas supporté qu’elle le dénonce à sa compagne. Tourmentée, le visage encore bleui par les coups, Véra s’enfuit de l’hôpital, errant telle une morte-vivante. Lorsque Marie apprend la fuite de Véra, elle est encore en Guadeloupe. Elle vit en colocation avec Ganapati, un ancien élève de son père qui ne cesse de lui faire des avances et qui finit par l’aggresser.

La fin du récit, mystérieuse, ouvre aux personnages des horizons multiples, ambigus, laissant libre cours à l’imagination des lectrices·teurs. Une magnifique série, dans laquelle Peggy Adam alterne avec brio drame et comédie, tout en s’attaquant aux injonctions multiples qui asservissent les corps et les sexualités des femmes.

Valentine Loup