Violence contre les femmes: la violence conjugale en Suisse

Violence contre les femmes: la violence conjugale en Suisse

En Suisse, comme dans le reste de l’Europe, les violences contre les femmes dans le couple sont endémiques: une femme sur cinq est victime de violence sexuelle et physique, deux femmes sur cinq sont victimes de violence

psychique. Les origines de ces violences sont à rechercher dans la répartition des rôles entre les sexes et le contrôle sur l’activité des femmes.


Si l’alcoolisme, les antécédents familiaux ou les difficultés socio-économiques peuvent être des facteurs supplémentaires de risque, ils ne constituent pas les causes premières des violences infligées1. Ces violences coûtent 400 millions de francs par année aux pouvoirs publics. En Suisse, chaque année, 1000 femmes et autant d’enfants trouvent asile dans des refuges pour femmes maltraitées et le même nombre y sont refusées, faute de place.

Dès les années 70…

Le mouvement féministe radical a le premier, dans les années 70, et suite aux mobilisations pour le droit à l’avortement, initié des campagnes publiques et des actions de soutien aux victimes sur ce thème. Les premiers refuges ont vu le jour à Genève, Zurich et Berne. Ces refuges, d’abord structures d’entraide militante, développent des concepts professionnels d’accompagnement des femmes victimes et de leurs enfants: priorité à l’autonomie, respect des décisions et des responsabilités des femmes, respect des droits de chaque femme en particulier des migrantes. La sécurité, le soutien dans l’expression du vécu et la réinsertion sociale sont les objectifs du travail avec les victimes.

Au sein du couple

Depuis 10 ans environs, on constate une plus grande sensibilité du public, des professionnel-le-s et des autorités à la problématique de la violence faite aux femmes dans le cadre du couple. Pourquoi?


L’introduction de la Loi sur l’Aide aux Victimes d’Infractions (LAVI), en 1993, a fait apparaître la fréquence des infractions commises dans le couple et la famille: 49% de l’ensemble des infractions sont commises dans le cadre familial et 84% de ces dernières concernent les femmes. L’histoire des femmes s’inscrit soudainement dans les registres fédéraux. La LAVI encourage la formation en criminologie, et ces connaissances deviennent accessibles à de nombreux travailleurs sociaux, médecins, juristes, et policiers. Il s’en est suivi une modification des jugements sur les femmes maltraitées et la reconnaissance du statut de victime pour les femmes.

Les initiatives se multiplient

L’ouverture de refuges dans d’autres cantons a aussi eu un impact local: les mobilisations des femmes et les demandes de soutien financier les ont obligés à prendre conscience de la gravité de cette violence: à St. Gall, Soleure, Grisons, Fribourg, Tessin, Neuchâtel, Bienne, Thun, etc. des groupes de femmes s’organisent et réclament des moyens financiers et des mesures politiques. Les autorités cantonales, à leur tour, prennent des initiatives: publications et enquêtes des bureaux de l’égalité et, à partir de 1999, Zürich, Bâle, Soleure, Genève, Neuchâtel, Berne et St. Gall mettent sur pied des structures chargées d’élaborer des propositions législatives susceptibles d’améliorer la protection des victimes, leur accès à la justice et les sanctions contre les agresseurs.


La Confédération, par effet de ricochet, s’engage à sanctionner ces violences: révision du code pénal, en 1991, prévoyant la dénonciation sur plainte du viol conjugal, ratification de plusieurs conventions internationales prévoyant des mesures de protection des victimes et de lutte contre les violences dans le couple, programme contre les violences faites aux femmes dans le cadre de la conférence mondiale des Femmes à Pékin, etc. En 1997, le bureau fédéral met sur pied, en collaboration avec les bureaux cantonaux, une campagne nationale et la première étude du Fonds national est publiée.

Propositions au Conseil national

Plusieurs conseillères nationales proposent parallèlement des mesures concrètes pour améliorer la protection juridique et les droits des femmes: pionnière, Heidi Deneys, socialiste neuchâteloise, propose une étude sur la situation des femmes en 1980. Puis Christine Goll, membre des FraP, dépose en 1993 une motion qui propose que la confédération soutienne financièrement les maisons d’accueil. Celle-ci sera transformée en postulat et mise au fond d’un tiroir. Christine Goll propose encore, par le biais d’une initiative parlementaire, un statut autonome pour les femmes migrantes, souvent obligées de rester auprès d’un conjoint violent pour garder leur permis de séjour. Puis Margrit von Felten, du parti des Verts bâlois, propose deux autres initiatives parlementaires, prévoyant la poursuite d’office du viol, des lésions corporelles simples et des voies de faits répétés au sein du couple, marié ou pas.


Ces initiatives sont actuellement discutées et ont été acceptées par le Conseil fédéral et le Conseil national. En 2000, Ruth Gaby Vermot dépose par une initiative parlementaire, un projet de loi au niveau du code civil suisse pour donner les compétences aux autorités de police d’exclure l’agresseur du domicile conjugal. Enfin, Christine Goll, dépose en mars 2003, une motion réitérant sa demande de soutien financier aux structures hébergeant des femmes maltraitées.

Un combat féministe

Cette évolution favorable des consciences a été possible grâce en grande partie à l’engagement des organisations féministes dans la protection des femmes: l’organisation faîtière des maisons de femmes, comme les diverses structures cantonales, ne se sont jamais limitées à la prise en charge sociale des femmes. Elles ont poursuivi avec acharnement la dénonciation politique, les entraves à la reconnaissance de ces délits, les discriminations subies par les femmes, Suissesses ou migrantes, la banalisation et l’indifférence des pouvoirs publics. Ceci avec très peu de moyens financiers et souvent une surcharge chronique de travail. Elles ont également approfondi les concepts d’accompagnement, et n’ont jamais renoncé aux principes féministes qui les ont guidées dès leurs débuts. Cet engagement a été déterminant.


Pour l’avenir, quelles sont les mesures concrètes que le mouvement féministe, les syndicats et les organisations politiques et citoyennes, doivent faire aboutir:

  • L’unification des prestations auxquelles les femmes victimes de violence dans leur couple ont droit, quelle que soit leur nationalité, le canton dans lequel elles résident ou leur statut socio-économique. La révision de la LAVI dans ce sens est indispensable.
  • Des places en suffisance pour garantir à toutes les femmes, accompagnées de leurs enfants, l’accès à un refuge lorsqu’elles ont besoin de protection, dont le financement soit assuré par l’ensemble des cantons et coordonné par la Confédération. Le développement de prestations de réinsertion sociale et de soutien psychologique, soit en hébergement, soit en ambulatoire.
  • Un statut indépendant de l’état civil pour les femmes migrantes et la protection des femmes victimes de trafiquants (en ce sens la LAVI doit primer sur la Loi sur le Séjour des Etrangers).
  • Une loi cadre sur la violence conjugale, unifiant les pratiques policières et judiciaires, et assurant une cohérence entre les mesures de protection des victimes et de répression des agresseurs.

Il est important de mettre sur pied des mesures de protection. Néanmoins, celles-ci doivent être prises dans le strict respect des droits des victimes. Il serait contre-productif que les victimes se retrouvent sous la tutelle de l’Etat, qui remplacerait en quelque sorte l’autorité du mari. Dans ce sens, et pour garantir le droit des femmes victimes, il serait nécessaire que les organisations de femmes engagées dans la lutte contre ces violences puissent être saisies et intervenir chaque fois qu’une femme est assassinée, faute de protection.


Le principe fondamental du droit des femmes à une vie autonome et au pouvoir de décision est inséparable du droit à la sécurité pour chacune d’entre elles.


Claire MAGNIN*


* Collaboratrice à solidarité femmes (région biennoise), membre de l’organisation faîtire des maisons pour femmes de Suisse et du Liechtenstein (DAO) et de sa commission relations publiques, membre d’ATTAC, du SSP et Conseillère de Ville AVeS (allaiance verte et sociale) de Bienne.

  1. Lucienne Gillioz, s, étude du FNRS, 1997.