Cadeaux aux armateurs

Que faisait le Général Guisan avec Cristallina dans le port d’Alger à la fin des années 50? Ceci pourrait être l’énigme helvétique d’un roman d’après-guerre. Dans la réalité du capitalisme suisse, il s’agit des navires de la flotte de haute mer, battant pavillon suisse.

Salvador de la Rubia

Une flotte qui fit ses premiers pas à la fin des années 1930 et qui, grâce à la neutralité, a su croître dans des périodes difficiles, sans hésiter à acoster en Corée du Nord ou à ravitailler la guerre d’Assad en Syrie.

La flotte de haute mer

En 1941, en vertu du droit d’urgence, le Conseil fédéral créa les bases juridiques d’une flotte marchande qui aurait comme but «d’assurer l’approvisionnement en biens vitaux, lors d’une crise». Bien que ce choix se fit suite à la fermeture du fait d’une situation de guerre et de pénurie, le rôle des sociétés de négoce, très puissantes et déjà investies dans l’armement, comme la société André (géant du commerce des céréales), dans cette décision demeure jusqu’à aujourd’hui mystérieux.

A partir de 1959, la Confédération octroya, en application de la loi sur l’approvisionnement du pays, des cautionnements aux armateurs de la navigation maritime afin de disposer de navires de haute mer pouvant être affectés en cas de crise. Ceci signifie concrètement que, quand un armateur n’est pas en mesure d’honorer ses obligations, c’est à la Confédération d’assumer sa dette, en sa qualité de garante. En 2008 ce crédit-cadre de cautionnement a été fixé à 1,1 milliard et les cautionnements octroyés par la Confédération grâce à ces crédits-­cadre atteignaient les 800 millions de francs encore récemment.

Effervescence

Depuis l’an 2000, les armateurs suisses ont construit 45 navires capables de traverser l’Atlantique, les canaux de Suez et du Panama. Ainsi, la Suisse se trouve depuis 16 ans dans la liste de 35 pays maritimes (!) les plus importants. Les 50 navires battant pavillon suisse aujourd’hui ont, selon un rapport du DEFR, «des surcapacités allant de 600 % à 31 500 % pour l’approvisionnement en aliments». Simplement dit, les armateurs suisses ont bâti une flotte avec la sécurité des garanties de la Confédération, qui ne servirait essentiellement à rien en cas de crise, si ce n’est à remplir leurs coffres forts.

Un cadeau de trop

Il y a trois semaines, la Confédération a décidé d’octroyer une garantie de 215 millions pour les groupes Swiss Cargo Line (SCL) et Swiss Chem Tankers (SCT). Dans le communiqué du Conseil Fédéral qui annonce cette mesure, nous lisons que, depuis 2008, la navigation maritime traverse une grave crise sur le plan mondial. Pourtant, ceci n’a pas empêché ces entreprises de bâtir 12 nouveaux navires depuis 2008. Il s’agit d’un cadeau illégitime et immoral quand, dans le même temps, on demande aux femmes de travailler une année de plus pour obtenir leur retraite. L’heure de taxer lourdement cette poignée d’armateurs qui fait des bénéfices colossaux et venue! DD