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A lire : Jean-François Haas écrit pour rendre leur dignité aux exclus

C’est dans le cadre  de la maison de vacances pour les personnes âgées de Genève « La Nouvelle-Roseraie », que j’ai eu l’occasion de rencontrer l’écrivain suisse romand Jean-­François Haas. Je tiens à préciser le lieu de cette rencontre, improbable et d’autant plus appréciée. Je le répète aux gestionnaires de l’Hospice général qui ont sanctionné les seniors en supprimant une des deux maisons de vacances: ces lieux sont indispensables pour maintenir dans la vieillesse l’activité physique, morale et intellectuelle! Je fais confiance à mes camarades député·e·s pour défendre la cause de la réouverture de la maison de vacances de Gryon, et même l’ouverture d’autres maisons.

Invité par l’animatrice de « La Nouvelle-Roseraie », Jean-François Haas, auteur de cinq romans tous publiés au Seuil, couronné du Prix Schiller et du Prix Dentan en 2008 et d’autres prix encore, est venu avec beaucoup de simplicité parler de son dernier livre Le testament d’Adam, un recueil de nouvelles, également édité par Le Seuil.

«Je voudrais bien voir la clause du testament d’Adam qui m’exclut du partage du monde! » Cette phrase a été prononcée en 1494, par le roi de France François 1er, qui voulait sa part du gâteau dans l’exploitation des terres nouvellement découvertes. En fait, elle pourrait sortir de la bouche de tou·te·s les exclu·e·s des richesses du monde. C’est à eux et elles, justement, que Jean-­François Haas donne la parole. Enseignant durant plus de 30 ans dans un collège fribourgeois, il a suivi des élèves immigré·e·s, des segundos, enfants d’ouvriers portugais chassés par la pauvreté et voués aux tâches les plus ingrates en Suisse.

Face aux injustices

Dans sa première nouvelle « Le partage du monde », un de ces jeunes obtient sa maturité. Son père travaille durement à l’abattoir, sa mère fait des ménages et lui accède à un autre monde, mais reste attaché à sa famille et ouvre les yeux sur les injustices sociales. Par un été de canicule, l’eau est rationnée dans son quartier d’immigré·e·s et sa petite sœur ne peut plus aller jouer dans la pataugeoire. En revanche, l’eau est bonne et abondante dans la piscine des parents de son copain de matu… Pourquoi ces injustices? Comment les éliminer? Pourquoi les richesses du monde sont-elles si mal partagées? «Il se tenait là, impuissant, humilié, mais il sentait en lui les humiliations de tous les humiliés, et cela lui donnait une force et lui faisait redresser la tête…»

Les sept nouvelles de ce volume sont consacrées à des personnes exclues, rejetées par la logique de la Suisse des nanti·e·s, des bétonné·e·s dans leurs certitudes: deux vieilles dames solitaires porteuses d’un lourd passé, un homosexuel, un handicapé mental, un drogué, une militante sous la dictature… Dans une langue magnifique, l’auteur se met à leur place et exprime leurs émotions et leurs réflexions. La littérature classique – que Haas a enseignée – les aide à percevoir l’injustice, à la mettre en question et aussi à tenter de la surmonter, en se raccrochant à un idéal de beauté. Jean-François Haas, désespéré par la marche du monde et par le mystère de la force du mal, continue d’espérer en la fraternité.

Il est rare de découvrir un auteur d’une telle qualité littéraire qui nous donne envie de nous engager pour un autre monde, qu’il nous aide à croire possible.

Maryelle Budry

Jean-François Haas, Le testament d’Adam, Seuil, 2017