A comme Aliénation, E comme Espoir - Hommage à Istvan Meszáros

Hommage à Istvan Meszáros

Comment peut-on garder nos espoirs pour un monde meilleur quand on n’a plus de contrôle sur quoi que ce soit? Quand le pouvoir est tellement dispersé et occulté?

Dans l’ère du néolibéralisme, ces questions deviennent de plus en plus cruciales et les efforts théoriques pour y répondre se multiplient. Parmi ces efforts, le philosophe hongrois, Istvan Meszáros, décédé le 1er octobre dernier, a offert parmi les meilleurs travaux de la tradition du matérialisme historique.

Des contributions incontournables

La liste de ses ouvrages est longue. On peut mentionner La théorie de l’aliénation chez Marx, La nécessité du contrôle social et son Structure sociale et formes de conscience comme des lectures indispensables, malgré leur difficulté due au style hégélien de l’auteur.

Son travail d’élucidation de la notion de l’aliénation chez Marx reste incontournable. Il analyse en profondeur la capacité du système capitaliste à saisir et à aliéner le rôle distinctif de l’humanité en tant «qu’être médiateur de la nature», en transformant cette relation hu­maine en un moyen d’oppression de classe, en ôtant aux travailleurs·euses le contrôle des moyens de production, réduisant ainsi leur lien direct avec la nature et avec leur propre travail.

Sa conception du système capitaliste comme une forme de «contrôle sociale métabolique» est aussi très enrichissante pour notre appréhension d’un système «qui est capable de sa propre reproduction dans la mesure où l’Etat reste intact». Car «sans l’émergence de l’Etat moderne, le mode de contrôle métabolique spontané du capital ne peut pas se transformer en un système avec des microcosmes socio-économiques clairement identifiables. Les unités particulières de reproduction socio­économique du capital, prises séparément, ne sont pas seulement incapables de coordination et de totalisation spontanées mais elles leurs seraient diamétralement opposées si elles étaient autorisées à suivre leur parcours perturbateur. »

Un legs théorique et militant

Bien que peu accessible, le travail de Meszáros reste très actuel. Lui-même, disciple de Georg Lukács, n’est jamais resté dans l’abstraction académique. Opposant ardent de l’URSS, refugié de la Hongrie après la défaite de la révolution de 1956, il n’a pas arrêté de se battre pour un monde meilleur, sur la base de sa compréhension marxiste des évènements. En Europe, on le connaissait comme un intellectuel. En Amérique latine, il parlait lors de réunions à des centaines des travailleuses·eurs. Hugo Chavez l’avait appelé señalador de caminos – éclaireur des chemins. On se sépare avec tristesse d’une personne qui, dans l’illusion de l’impuissance, nous a rendu plus forts.

Dimitris Daskalakis