Hausse des primes et austérité - Un cocktail explosif

Un cocktail explosif

Comme presque chaque année depuis 1997, une hausse des primes d’assurance maladie a été annoncée pour l’année 2018: elles augmenteront en moyenne de 4 % à 4,5 %, et jusqu’à 6 % pour le canton de Vaud.

Kai Schreiber

De 1996 à 2018, les primes ont presque triplé, passant de 173 à 465 francs, alors que les salaires n’ont pas connu la même évolutio. La base même du système de santé suisse est fortement inégalitaire. Il est le plus cher d’Europe: à pouvoir d’achat équivalent, les dépenses de santé par habitant·e sont les plus élevées de l’OCDE. Il est également l’un des plus libéraux: les primes ne sont pas proportionnelles aux revenus des assuré·e·s et la part des coûts de la santé assumée directement par les ménages atteint 32 %, contre 22 % en Belgique, 16 % en Suède ou 15 % en Allemagne (OCDE, 2015). Les dernières hausses montrent que cette situation ne va pas s’arranger.

Comment expliquer la hausse de primes?

Alain Berset avance comme principales raisons un rattrapage de primes trop basses, la hausse des coûts de la santé, ainsi que la nécessité de renflouer les réserves de certaines caisses. La hausse des coûts est, selon lui, due à l’évolution démographique, aux progrès médicaux, à une augmentation des prestations et à de fausses incitations. Mais quelles sont les causes de l’augmentation des coûts de la santé? Et les moyens de lutter contre elle?

Ruedi Bodenmann, directeur d’Assura, affirme dans un entretien avec la Tribune de Genève du 22 septembre: «Un assuré responsable est le meilleur allié de la maitrise des coûts.» Et pour responsabiliser les assuré·e·s, le meilleur moyen est, selon lui, le système du tiers garant ainsi que les franchises élevées. Donc, si les coûts de la santé augmentent, ce serait parce que les patient·e·s sont irresponsables, notamment parce qu’ils•elles consulteraient trop.

Or, Le Temps, dans son édition du 28 septembre, nous apprend que cette hypothèse ne tient pas la route. Selon l’OCDE, les Suisses consultent en moyenne deux fois moins souvent que dans les pays voisins. Les coûts à pointer du doigt sont plutôt ceux très élevés des prestations chez les spécialistes ou dans les hôpitaux, au détriment de la médecine générale. Symptomatique de cette situation, la Suisse ne compte que 16 % de médecins de premiers recours, pour 84 % de spécialistes, alors que la moyenne européenne se situe respectivement à 30 % et 70 %.

Et le prix des médicaments?

La part des génériques sur le marché des médicaments en Suisse est de 22 %, contre 81 % en Allemagne et 84 % aux Etats-Unis. De plus, le prix des médicaments, et spécifiquement des génériques, est plus élevé en Suisse que dans le reste de l’Europe, pouvant aller jusqu’au double du prix moyen pratiqué dans l’OCDE.

Peter Suter, médecin et président du Swiss Medical Board estime que «C’est un réel problème. Il n’est pas normal qu’en Suisse un médicament générique coûte 80 % du prix de la substance originale. » Il pointe le rôle joué par les lobbies pharmaceutiques au parlement (Le Temps 28.09.2017). Alain Berset s’est bien gardé d’évoquer ce problème.

Une assurance maladie réellement sociale et un service public de qualité

Au lendemain de l’annonce des hausses de primes, les Conseillers d’Etats Pierre-Yves Maillard et Mauro Poggia ont proposé leur solution: le lancement d’une initiative «Pour une liberté d’organisation des cantons». Cela permettrait aux cantons de mettre en place une institution cantonale d’assurance-maladie chargée d’encaisser et de fixer le montant des primes sur le mode de fonctionnement des caisses cantonales de compensation.

Bien qu’insuffisante, cette initiative va dans le bon sens. Elle permettrait un meilleur contrôle des coûts administratifs et des frais de gestion et éviterait la «chasse aux bons risques» par la fixation des primes. Par contre, tout comme celle du PSS en 2014, «Pour une caisse publique d’assurance maladie», l’initiative de Maillard et Poggia laisse de côté l’un des principaux enjeux: le mode de financement. Il est indispensable que l’assurance maladie soit basée sur un financement plus social, par la mise en place de primes proportionnelles aux revenus des assuré•e•s. Cette mesure doit se conjuguer à un contrôle des coûts inutiles et injustes, en premier lieu le prix des médicaments, à l’arrêt des subventions aux cliniques privées et au plafonnement des revenus des médecins spécialistes. Nous devons nous battre pour que la santé soit réellement un service public et pas une entreprise à but lucratif.

Julien Nagel


Lucerne dépouille les pauvres pour donner aux entreprises

Quelques jours avant l’annonce d’Alain Berset, le gouvernement du canton de Lucerne annonçait une baisse drastique des subsides à l’assurance maladie ainsi qu’une mesure rétroactive demandant à 5800 foyers de rembourser les aides reçues depuis janvier 2017. (Le Temps, 5 octobre). Cela après plusieurs années de réductions de l’imposition des entreprises.

Cette situation est particulièrement choquante. Elle montre le lien direct entre toute baisse d’impôts, particulièrement sur les bénéfices des entreprises, et la casse des assurances sociales. La lutte contre les baisses d’impôts, comme celle menée contre la RIE 3 et les autres à venir, est donc plus que jamais nécessaire pour garantir nos services publics et nos assurances sociales. JN