Immigration - racisme

Immigration - racisme : Nouvelle force antiraciste en France - De l'autonomie à l'émancipation

De l’autonomie à l’émancipation

Le 10 décembre dernier, avait lieu à la Bourse du travail de Saint-Denis à Paris, la 4e édition de la Journée internationale contre l’islamophobie. A l’occasion de cet événement, nous avons interviewé Louisa Yousfi, militante au «Parti des Indigènes de la République» et modératrice de l’événement.


Louisa Yousfi, journaliste et militante décoloniale, présentatrice de l’émission en ligne Paroles d’honneur

Quand et comment est née cette Journée internationale contre l’islamophobie?

Cette journée internationale contre l’islamophobie est née dans la continuité d’une nouvelle mouvance politique qui a fait son apparition en France suite à la loi de 2004 contre les signes religieux à l’école. Constituée de collectifs et d’organisations issues des milieux musulmans, de l’immigration et des quartiers populaires ainsi que d’une partie de la gauche radicale, cette mouvance s’est construite à partir d’une dénonciation ferme et radicale d’un racisme structurel qui vise et discrimine certaines catégories de la population française telles que les Noirs, les Arabes, les habitant·e·s des quartiers, les Roms et les musulmans. C’est dans ce contexte également que le Réseau Décolonial International (DIN) a posé les premiers jalons de sa constitution autour d’organisations politiques décoloniales telle que le Parti des Indigènes de la République ou d’intellectuels décoloniaux comme Ramon Grosfoguel ou encore Hatem Bazian de l’Université de Berkeley.

C’est d’ailleurs à l’occasion d’une conférence annuelle sur l’islamophobie organisée dans cette même université que l’idée d’une Journée internationale contre l’islamophobie a germé, avec comme ambition celle de créer un front de résistance unitaire à l’échelle mondiale. Une fois par an, il s’agit d’organiser des rencontres contre l’islamophobie dans différents pays et d’engager la constitution d’un réseau large qui englobe toutes les forces politiques qui ont intérêt à lutter contre l’islamophobie et le racisme. Et c’est un franc succès! Des conférences ont lieu chaque année à Paris, Londres, Amsterdam, Bruxelles, Barcelone, Madrid…

Quel est l’apport de cette journée dans le contexte français?

En France, cette conférence a permis de créer et consolider une alliance large et unitaire qui va des organisations de l’immigration et des quartiers populaires à certaines franges de la gauche radicale dans un contexte particulièrement rude et hostile à la fois pour les milieux de l’immigration mais aussi pour les mouvements sociaux qui subissent, les uns et les autres, à des niveaux différents, une répression sans précédent de la part du gouvernement. C’est grâce à ces alliances qui se stabilisent dans le temps et prennent de l’ampleur qu’il a été possible d’organiser deux grands meetings politiques après les attentats contre Charlie Hebdo et ceux du 13 novembre.

Les contextes post-attentats avaient débouché sur un climat délétère pour les musulman·e·s, les habitant·e·s des quartiers populaires, et les forces d’opposition qui voulaient porter une autre voix que celle d’un gouvernement toujours plus belliqueux, répressif, promoteur d’une laïcité dévoyée et d’un état d’urgence liberticide. Ces deux grands meetings ont rassemblé large puisque près d’une trentaine d’organisations, de collectifs ont participé et soutenu l’événement, de l’antiracisme politique à la gauche de la gauche, pour la paix et contre l’état d’urgence. C’est d’ailleurs cet espace, appelé vulgairement «islamo-gauchiste» par ses adversaires, qui est aujourd’hui le plus craint par nos détracteurs «ultra-républicains» ou «ultra-laïcs», dont Valls est la figure de proue, car il préfigure une alliance forte entre les mouvements sociaux et ceux de l’immigration autonome, seule à même d’engager un bras de fer avec les forces racistes et néolibérales. La violence avec laquelle ces meetings ont été attaqués ne dit que nous visons juste, et surtout, que nous représentons un potentiel révolutionnaire de plus en plus crédible.

Quelle est la spécificité de la quatrième édition de cette année?

D’abord, il faut prendre la mesure de l’offensive que nos milieux ont subi ces dernières semaines, notamment suite à l’affaire Tariq Ramadan. En effet, l’instrumentalisation de cette affaire a donné lieu à une chasse aux sorcières à l’encontre des forces autonomes de l’immigration, puis à l’encontre de ceux qui les soutiennent ou estiment qu’ils ont le droit d’exister, comme Edwy Plenel, par exemple. Et cette quatrième édition a évidemment pâti de cette offensive puisque les organisations de gauche se sont montrées plus frileuses que d’habitude à participer et à soutenir l’événement. En ce sens, on peut dire que nos ennemis communs, Valls en tête, ont réussi leur coup. Par ailleurs, ce qu’il faut retenir, c’est que les offensives répétées ne sont pas parvenues à affaiblir la solidarité des organisations de l’antiracisme politique.

Au contraire, tous les militant·e·s de l’immigration qui se revendiquent de ce mouvement étaient présents – le FUIQP (Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires), le CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France), le PIR (Parti Indigènes de la République), l’UJFP (Union Juive Française pour la Paix) etc. – et ont affirmé une seule et même voix! On assiste ici à la construction progressive et minutieuse d’une nouvelle force politique en France, qui est attaquée à mesure qu’elle se renforce, venue des quartiers et de l’immigration, portée par une nouvelle génération de militantes et de militants, qui ne se développe sous la tutelle d’aucun parti traditionnel, à l’agenda radicalement antiraciste et décolonial. Elle est là, la véritable avancée dont vient témoigner cette journée internationale contre l’islamophobie… et elle n’est pas prête de s’arrêter.

Propos de Luisa Yousfi recueillis par Olaya Soto