Réhabilitation de la P-26

Réhabilitation de la P-26 : Ueli Maurer et RTS, même combat?

L’inauguration officielle d’un musée consacré à l’ancienne armée secrète suisse le 23 novembre et la diffusion, quatre semaines plus tard, d’un documentaire de Temps Présent glorifiant les «courageux patriotes» de la P-26 participent à la campagne en cours de la droite helvétique pour réhabiliter l’une des plus graves dérives antidémocratiques qu’ait connu la Suisse. La résistance à cette régression est indispensable!


RTS – Laurent Bleuze

«C’était bien l’inauguration la plus étrange d’un musée qui ait jamais eu lieu en Suisse» rapporte l’hebdomadaire Wochenzeitung (WoZ) du 5 janvier. En effet, l’inauguration du «Musée Résistance Suisse», dans l’ancien bunker militaire Schweizerhof à Gstaad, à laquelle est intervenu le Conseiller fédéral UDC Ueli Maurer devant une soixantaine d’invités d’honneur, s’est déroulée à l’abri du public et des médias, pas invités.

Musique militaire, discours de Maurer sur «La résistance, dernier recours d’une nation libre», remise sur les notes de l’hymne national du drapeau de l’armée secrète au musée par un porte-drapeau en tenue de combat. Une fois la cérémonie terminée, le musée a refermé ses portes, apparemment en raison des documents s’y trouvant, couverts par un secret que le Conseil fédéral a décidé de ne pas lever jusqu’en 2041.

Pour rappel, ledit bunker de Gstaad servait de centrale d’instruction pour les 400 membres environ de l’armée secrète suisse, jusqu’à sa découverte et sa dissolution en 1990, dans le sillage du scandale des fiches, de la chute du Mur de Berlin et du vote surprenant de 35,6 % des électrices·eurs en faveur de la suppression de l’armée suisse.

Une grave menace pour la démocratie

Mise en place dans les années septante, sous les auspices de la hiérarchie militaire, la P-26 se voulait un instrument pour mener une résistance dans le cas d’une occupation du pays par le Bloc soviétique, à l’instar des semblables organisations militaires secrètes mises sur pied dans une quinzaine de pays de l’OTAN en Europe.

Dans plusieurs cas (Turquie, mais paraît-il aussi en France, en Allemagne et en Belgique) ces organisations militaires secrètes ont participé activement à des actions pour influencer lourdement la vie politique et dans certains cas (Grèce, Italie) elles ont essayé de renverser les régimes démocratiques de leurs pays.

En Suisse, la P-26 n’excluait pas la possibilité «d’être aussi engagée en cas d’un renversement des rapports de forces advenu dans des formes démocratiques», comme l’avait relevé la Commission d’enquête parlementaire sur les «évènements survenus au DMF» (Rapport CEP-DMF du 17 novembre 1990, p. 196).

La P-26 avait «siphonné» une bonne centaine de millions de francs aux budgets du Département militaire pour se préparer aux engagements concrets, y compris en achetant et entreposant des stocks d’armes et munitions dans des dizaines d’entrepôts secrets, le tout à l’insu du Conseil fédéral et du parlement.

S’opposer à la réhabilitation en marche

Les membres de la P-26 «ont été accusés de tous les torts, jusqu’à fomenter un coup d’état contre le Conseil fédéral. Mais l’histoire, vous le verrez, leur a donné raison, c’étaient des patriotes, des hommes et des femmes courageux […] ils racontent pour la première fois l’extraordinaire histoire de l’armée secrète suisse: regardez!» C’est par ces mots que Jean-Philippe Ceppi introduisait un documentaire de Temps Présent du 21 décembre dernier.

De nombreux anciens membres de la P-26, des historiens militaires et le juge Cornu, encore lié au secret, y ont dressé un plaidoyer absolument unilatéral en faveur de la réhabilitation de l’armée secrète. Par contre, le documentaire n’a donné la parole à aucune des voix critiques, d’historien·ne·s ou de citoyen·ne·s, ni même à des parlementaires membres de la CEP-DMF.

En sus d’une réclamation nécessaire adressée à l’organe de médiation de la RTSR pour le caractère unilatéral de cette émission, il serait souhaitable que d’autres démarches (au parlement, dans les médias) s’opposent à la scandaleuse campagne de réhabilitation de la P-26 en cours.

Tobia Schnebli


Un secret sélectif au service de la réhabilitation

Les infos sur l’inauguration secrète du «Musée Résistance Suisse 1940–1990» dans le bunker Schweizerhof à Gstaad le 23 novembre, ont été publiées un mois après dans un périodique local, l’Anzeiger von Saanen, par Felix Nöthiger, ex-membre de la P-26, secrétaire de l’association des vétérans de l’armée secrète, la C 717, aux origines du musée.

Nöthliger s’était signalé par la publication d’un avis mortuaire sur le décès, le 21 juin 2016, de Hans-Rudolf Strasser (alias «Franz») longtemps responsable du service de l’information du DMF et figure de proue de la P-26. Dans cette annonce, les «vétérans» s’en prenaient à ceux qui avaient «trahi» Strasser en dévoilant son appartenance à la P-26 et diffamaient le chef du DMF d’alors, Kaspar Villiger qui l’avait licencié sur le champ.

Dans leur œuvre de réhabilitation, les vétérans de la P-26 peuvent par contre compter sur le soutien d’Ueli Maurer. Alors que le Conseil fédéral impose le secret jusqu’en 2041 sur les documents de la P-26, Maurer a delié ses véterans du secret en 2009 en les remerciant pour «services rendus», leur offrant le bunker Schweizerhof avec ses installations au prix plus que modeste de 5000 francs.

Ce secret sélectif avantage de manière unilatérale la campagne de réhabilitation en cours. Il permet aux anciens de la P-26, comme l’ineffable ex-parlementaire fédéral et coprésident PLR de la Constituante genevoise Jacques Simon Eggly, de raconter des fables lénifiantes sur la P-26 à Temps Présent, mais empêche l’accès aux documents des historiens critiques. TS