Immigration/Racisme
Immigration/Racisme : «L'isolement est leur arme, brisons l'isolement»
Samedi 27 janvier, le collectif antiraciste, politique et décolonial Outrage organisait à l’Espace Saint-Martin, à Lausanne, un après-midi de discussion sur les violences policières contre les personnes noir·e·s. A quel type de violence sont-elles confronté·e·s? Que faire? Ont participé aux débats le collectif bernois Alliance against Racial Profiling, ainsi que les collectifs lausannois Jupiter Soundsystem, Jean Dutoit et A qui le tour?
Il faut retenir du rassemblement du 27 janvier cette demande formulée par les collectifs présents: «Lorsque vous êtes témoins, dans la rue, d’arrestations, de contrôles ou de violences policières, intervenez. Utilisez votre privilège d’être blanc et/ou suisse pour aller demander ce qu’il se passe, prendre le numéro de matricule des agents. Dites aux victimes que ce n’est pas normal. Si vous n’osez pas intervenir de façon si directe, sortez vos téléphones portables, prenez des photos, faites des vidéos et publiez-les ou transmettez-les à l’un des collectifs». La volonté d’être mieux organisé à Lausanne sur le modèle de l’Alliance against Racial Profiling à Berne suit son cours.
Nous retranscrivons ci-contre le témoignage révoltant du Jupiter Soundsystem. Ce collectif a été créé par des migrants noirs sans papiers, victimes directes des violences policières. Il vise notamment à créer un espace de solidarité pour sortir de l’isolement, se réunir, panser les plaies des humiliations subies et surtout témoigner, informer la population suisse. A propos de l’institution policière, ils disent: «l’isolement est leur arme, brisons l’isolement».
Ils sont jeunes, à peine dans la vingtaine. Ils ont quitté leur pays dans l’espoir d’un avenir meilleur. En Europe, et en Suisse, ils se trouvent pris dans un cauchemar d’hostilité, de violence et d’indifférence qui ne leur laisse parfois pas d’autre choix que de s’adonner au deal pour survivre.
Maïmouna Mayoraz Isabelle Lucas
Nous voyons des ami·e·s disparaître
«Depuis des jours, des mois, des années, nous voyons des ami·e·s disparaître pour quelques jours, quelques mois, quelques années. Tous les jours, des personnes se font arrêter, puis emprisonner. En fait, pour beaucoup, nous ne les voyons même pas. Sans papier de séjour valable en Suisse, quand bien même certain·e·s détiennent des documents délivrés par d’autres pays d’Europe leur permettant de voyager, ils et elles sont considéré·e·s comme «illégaux», une voie directe permettant d’envoyer une catégorie de personnes en prison, une catégorie de personnes que le système invisibilise, jusqu’à les faire disparaître en cellule. L’isolement est une des armes de la répression.
Depuis l’hôtel de police jusqu’à la prison, tout est mis en place pour que la personne arrêtée n’ait aucune ressource. A Lausanne, cela commence toujours par une détention à la zone carcérale de l’hôtel de police ou du poste de gendarmerie de la Blécherette, des lieux de non-droit, où les conditions de détention relèvent de la torture. Les personnes arrêtées se font régulièrement tabasser dans les cellules, humilier, menacer de mort et médicaliser de force. Les cellules sont éclairées 24 heures sur 24, une caméra filme en permanence, aucune lumière du jour, pas de droit de visites, aucune traduction des lettres officielles reçues, et aucune information, à part celle selon laquelle il n’y a pas de place en prison, et qu’il faut attendre. La durée légale maximale de détention à l’hôtel de police est de 48h, pourtant beaucoup restent entre 15 et 30 jours. Puis, la détention en prison. A l’intérieur, nul ne sait quand il va sortir. Mois après mois, les jours avant la sortie prévue, les maton·ne·s apportent de nouvelles lettres ajoutant des jours de peine, suite à des décisions que le·la procureur·e prend au gré de ses envies, pendant que la personne reste emprisonnée. Si elles n’ont pas de possibilité de contact avec l’extérieur, les personnes arrêtées et embarquées disparaissent, pour quelques jours, quelques mois, quelques années.
Tous les jours, la police harcèle des personnes noires dans la rue. Tous les jours, la police frappe, tabasse et torture des personnes, à l’abri des regards, dans leur voiture, dans des buissons, dans des ruelles, en raison de la couleur de leur peau. Les flics entrent dans les transports publics et ordonnent uniquement aux personnes noires de sortir pour un contrôle. Ils entrent dans des restaurants d’Afrique de l’Ouest, pointent des gens au hasard et les font sortir pour les fouiller. Des patrouilles débarquent en nombre en ville, et dans la rue, interpellent des personnes noires, les alignent contre le mur en les encerclant, parfois menottées, leur demandent leur papier de séjour et les fouillent. Lors de nombreux contrôles, ils prennent les papiers de séjour, les détruisent, et volent l’argent que les personnes ont sur elles. Parfois, les flics se dirigent juste vers des personnes et les gazent avec leur spray au poivre, en leur ordonnant de partir.
Face à cette situation, face au silence, face à l’invisibilité que l’Etat met en place, nous voulons parler, nous voulons montrer. Nous avons constitué ce groupe suite à ce que nous voyons, avons vu et, pour certain·e·s d’entre nous, avons directement vécu. Nous avons décidé d’organiser ces évènements, tout d’abord pour pouvoir réunir de l’argent afin d’apporter un soutien financier à celles et ceux qui en auraient besoin, notamment en prison. Par exemple, le simple fait de pouvoir acheter des cartes de téléphone permet d’avoir un contact avec l’extérieur. Nous voulons également diffuser des informations, et finalement nous prenons ce temps pour nous réunir, nous retrouver, et penser à celles et ceux qui ne sont pas là.»
Jupiter Soundsystem