BD en lutte - 8 mars

BD en lutte - 8 mars : Mauvaises filles, souvenirs traumatiques de Corée du Sud

Ancco explore le quotidien violent des jeunes femmes avec un trait aussi réaliste que dénonciateur.

Agée de 34 ans, Ancco est l’auteure de trois manhwa (bande dessinée en Corée): Jindol et moi (2007), Aujourd’hui n’existe pas (2009) et Mauvaises filles (2016, Prix Révélation au Festival d’Angoulême 2017). Originaire de Seongnam en marge de Séoul, troisième fille d’une famille de quatre enfants, Ancco détonne dans le milieu du manhwa, tant par son graphisme que par son propos, très loin des standards coréens ou occidentaux. Elle pose un regard sans concession sur la société patriarcale sud-coréenne, en particulier sur le quotidien extrêmement violent que vivent les jeunes femmes des banlieues. S’inspirant de ses propres expériences et d’anecdotes rapportées par ses ami·e·s, l’auteure se remémore l’adolescence, période aux conséquences dramatiques.

L’histoire de son ouvrage le plus récent, Mauvaises filles, se déroule à la fin des années 1990, dans le contexte de la crise économique causée par l’application d’une politique ultra-libérale. L’explosion du chômage et la faillite des petites entreprises creusent les inégalités, alors on boit pour oublier ou, c’est selon, pour accepter. Jin-Joo et Jung-Ae, deux adolescentes, subissent quotidiennement les coups de leurs pères, finissant toujours gravement ensanglantées. «S’il n’y avait eu que papa, j’aurais peut-être pas pris autant de coups aux mêmes endroits» pense Jin-Joo, accoudée à sa table à dessin, dix ans après avoir frôlé la mort, sa punition pour avoir osé découcher. «J’étais le ‹ tambour du village ›». L’expression accompagne son souvenir: assise en bas de son immeuble, se faisant discrète pour fumer lorsqu’un homme surgit de nulle part et la gifle avec rage.

Mauvaises filles est d’abord publié en coréen en 2012. L’auteure avait une longueur d’avance sur le mouvement #metoo puisqu’elle exposait déjà les traumatismes des sud-coréennes, à l’aide d’un trait réaliste, tout en nuances de gris reflétant la toxicité d’un tel environnement. #metoo ayant pris de l’ampleur, des femmes sud-­coréennes témoignent aujourd’hui. Récemment par exemple, la procureure Seo Ji-Hyeon a accusé un membre du gouvernement d’attouchements. De telles allégations mènent souvent à des répercussions tragiques, car les lois et les institutions sud-coréennes, foncièrement patriarcales, protègent les agresseurs. Toutefois, le gouvernement a promis récemment de prendre des mesures.

Des signes encourageants pour des millions de sud-coréennes, toutes passées par l’adolescence, des «mauvaises filles» qui ont connu l’enfer. Même si, pour beaucoup, leurs blessures ne cicatriseront jamais, elles dénoncent toujours plus les violences sexuelles qu’elles subissent, dans les milieux populaires comme dans les hautes sphères du pouvoir.

Valentine Loup