Démantèlement du service public dans la santé

Depuis l’introduction, en 2012, des DRG (indemnisation par cas), la situation financière des hôpitaux s’est péjorée. L’État se retire lentement mais sûrement du secteur de la santé. Avant l’introduction des DRG, les subventions cantonales étaient attribuées selon des critères de santé publique et s’orientaient en fonction des besoins.

Le néolibéralisme et la pression sur les dépenses de santé ont poussé le législateur à garantir «le libre jeu des forces du marché». La concurrence devrait faire baisser les coûts et surtout le déficit ne devrait plus être porté par l’État.

Le problème majeur avec ce choix, c’est que les lois du marché ne fonctionnent pas dans le secteur. La santé n’est pas une marchandise et les besoins sont indépendants de l’offre et de la demande. Personne ne choisit d’être malade: je ne fais pas une thrombose veineuse des membres inférieurs parce que c’est moins cher qu’un infarctus du myocarde.

C’est connu depuis longtemps par les économistes et l’histoire nous apprend que les DRG n’ont aucune influence sur l’évolution des coûts. Il y a uniquement une redistribution du gâteau de la «santé». Les cliniques privées sont les grandes gagnantes, car elles peuvent choisir les bons risques et laisser les cas «nonrentables» aux hôpitaux publics.

L’État subventionne indirectement les cliniques privées, car il paie 55 % des frais d’hospitalisation. Ce qui veut dire que nous subventionnons les cliniques privées avec nos impôts. Et ces dernières ne sont pas obligées de respecter les conditions de travail prévues pour l’hôpital public (Loi sur le personnel de l’État). Elles ont les mains libres pour pratiquer un dumping salarial visant à accroître leurs profits.

Comme l’État ne peut plus subventionner le secteur de la santé, cela implique une pression financière sur le fonctionnement des hôpitaux publics. Cette pression se répercute d’abord sur les employé·e·s, puis sur les prestations. Une étude de l’Université de Lausanne (IDHEAP) de 2016 mentionne clairement que dans le canton de Fribourg, le nombre d’employé·e·s hospitaliers pour 1000 habitants a diminué significativement entre 2010 et 2014, pour être un des plus bas en Suisse.

L’impact est net sur la qualité et on assiste à un démantèlement du secteur public de la santé. C’est l’introduction d’une médecine à deux vitesses: celles et ceux qui peuvent se payer le luxe de se faire soigner et puis les autres, qui n’ont pas les moyens.

Cette pression de la «caisse vide» est une stratégie connue en matière de finances publiques. Sébastien Guex a bien décrit ce procédé qui consiste à vider délibérément les caisses de l’État en diminuant les recettes (cadeaux fiscaux notamment). Cela crée un climat politique et idéologique favorable à la diminution des dépenses, avant tout sociales, des collectivités publiques, et au déplacement de la charge fiscale au bénéfice des détenteurs de capitaux («La politique des caisses vides [État, finances publiques et mondialisation]», Actes de la recherche en sciences sociales, mars 2003).

Le législateur a prévu une phase de transition et la possibilité pour les cantons de subventionner les besoins des hôpitaux via des prestations d’intérêt général (PIG) et un financement transitoire. Les politiques libérales réduisent d’année en année ces subventions pour se «débarrasser» de ce service public de la santé.

Dans le canton de Fribourg, la pression financière est continuelle et pourtant le canton se trouve dans une situation excellente, avec un milliard de fortune et des comptes excédentaires ou équilibrés depuis 14 ans. L’État de Fribourg continue de démanteler le service public en coupant dans les prestations d’intérêt général et dans le financement transitoire de l’hôpital fribourgeois (HFR). Il étrangle financièrement l’HFR.

Depuis 2014, la direction et le conseil d’administration de l’HFR mettent uniquement en avant les coûts trop élevés du personnel. C’est un faux débat, car le problème relève plutôt de l’absence de stratégie et d’une non-maitrise des coûts à tous les niveaux. Un audit a démontré ces lacunes tant dans la gouvernance que dans la comptabilité analytique de l’HFR. Toutes les fermetures de services, sites et privatisations de services médicaux et annexes ont aggravé la situation financière.

Ce n’est pas aux employé·e·s de payer pour la mauvaise planification hospitalière faite par l’État de Fribourg et la direction de l’HFR durant les six dernières années. L’État de Fribourg n’a pas anticipé l’introduction des DRG et a omis d’investir à temps dans ses hôpitaux publics. Les autres cantons ont rénové et adapté leurs structures hospitalières avant 2012 en prévision de la nouvelle loi sur le financement hospitalier. Le canton de Fribourg a mis un milliard dans sa cagnotte pour accroitre sa fortune et refuse maintenant de payer pour le manque de prévoyance dont il a fait preuve.

Le canton doit stopper son désengagement du secteur de la santé. Il doit prendre en charge les coûts nécessaires au bien-être de la population et ne pas s’attaquer systématiquement au personnel de l’HFR. Ce n’est pas aux salarié·e·s de faire les frais de l’imprévoyance des dirigeants (travailler plus pour gagner moins!).

Un hôpital public doit fournir les soins dont la population a besoin, et pas uniquement ceux qui rapportent. Simplement augmenter le volume des prestations ne peut pas être une stratégie, car finalement la population paie la facture via les primes d’assurance maladie et les impôts.

Wolfgang Müller
Employé de l’HFR