La grève générale de 1918

La grève générale de 1918 : De la misère à la colère

Est-ce qu’une autre issue était possible durant la grève de 1918? Plutôt que spéculer sur le passé, il serait préférable de prendre les moments de commémoration pour débattre sérieusement de l’actualité et de la pertinence de la grève comme arme de défense et d’action pour le monde du travail. Car au sein de l’USS, la majorité des syndicats souscrivent depuis des dizaines d’années à la «paix du travail».


Manifestation contre la vie chère, Bâle, août 1917 – Universitätsbibliothek Basel

La colère gronde au sein du prolétariat ouvrier

En juin 1918, plus de 692000 personnes bénéficient de l’assistance, soit 18% de la population. La ville de Berne a mis en place un système d’aliments à prix réduits pour les plus démunis équivalent à 26% des résident·e·s! Depuis le début de la guerre, les prix se sont envolés, l’indice de coût de la vie passe de 100 à 229 entre 1914 et 1918, l’augmentation des produits alimentaires étant même supérieure. Les salaires réels ont baissé d’environ 30%, rongés par l’inflation et le marché noir. Pour les soldats accomplissant plus de 500 jours de service, il n’existait ni indemnité, ni assistance pour les familles.

Cette pauvreté dans les centres urbains contraste avec la richesse de la bourgeoisie et de la grande paysannerie. Les industries des machines, de l’alimentation, de la chimie réalisent de superbes bénéfices. Le marché noir sévit, le Conseil fédéral ayant refusé d’introduire le rationnement et le contrôle des prix au début du conflit. Les revenus de la paysannerie ont augmenté en 1917 de 229% par rapport à l’avant-guerre. Il y a donc une polarisation sociale entre un bloc bourgeois-paysan et un bloc ouvrier qui va stimuler les radicalisations politiques.

Le mouvement ouvrier est alors encore faible. Sous l’effet de la misère, les syndicats vont connaître une rapide croissance. L’Union syndicale suisse (USS) va passer à 148000 membres en 1918 contre 65000 membres au début du conflit. Les effectifs du Parti socialiste suisse (PSS) vont augmenter à 40000 membres en 1917. Une polarisation politique se produit aussi au sein du parti. Alors que la direction du PSS avait voté les pleins pouvoirs au Conseil fédéral en août 1914, l’opposition à la guerre va gagner du terrain.

Le mécontentement est dans la rue

Mais c’est surtout dans la rue et les ateliers que le mécontentement s’exprime. En mai et juin 1915 surviennent les premières manifestations contre l’augmentation du coût de la vie dans les grandes villes (Zurich, Berne, Bâle, Bienne, La Chaux-de-Fonds). Se dessine alors déjà une carte où les mobilisations ouvrières se recoupent avec les forces organisées de l’USS et du PSS dans des Unions ouvrières. En été 1916, des manifestations de femmes ont lieu sur des marchés. En 1917, les manifestations deviennent encore plus massives et plus combatives. Le 19 mai 1917, une foule en colère libère de sa prison à La Chaux-de-Fonds le rédacteur du quotidien socialiste «La Sentinelle», condamné par un tribunal militaire. La ville sera occupée par l’armée pour y rétablir l’ordre. Tout au long de l’année 1918, le contexte national (misère, militarisme) et international (révolution russe, grèves massives en Allemagne) exacerbent les contradictions de classe.

L’étincelle dans les banques

Le 30 septembre, les employés de banque à Zurich se mettent en grève. Pour les conservateurs, il faut se préparer à la confrontation et lever des troupes. Surtout qu’au début du mois de novembre, les empires allemand et austro-hongrois s’effondrent. À Zurich, l’Union ouvrière, par ses mobilisations réussies, apparaît comme un exemple pour mener un mouvement de contestation d’ensemble. Le Conseil fédéral fait alors occuper la ville de Zurich. Mis en concurrence, le Comité d’action d’Olten (CAO), créé en début d’année, reprend l’initiative en lançant son appel à une grève générale sur la base d’un programme de neuf revendications.

La participation à la grève dépend alors du degré d’organisation. Dans les grands centres urbains et industriels, elle est effective. Aux grévistes, estimés à environ 250000, seront opposés quelques 100000 soldats, en majorité d’origine paysanne. Le Conseil fédéral somme le CAO d’arrêter la grève le 14 novembre et, pour être plus persuasif, fait encercler le bâtiment par l’armée. Le CAO accepte l’ultimatum: «c’est à en pleurer. Jamais une grève ne s’est effondrée si honteusement par l’attitude lâche et déloyale des responsables de la grève» écrit le socialiste Nobs, futur conseiller fédéral.

Une autre issue était-elle possible? La grève dans les banques en 1918 fut une surprise, reflétant une nouvelle situation ouverte, la crise sociale s’ajoutant à la crise internationale. La grève avait ouvert de nouvelles possibilités et de grands espoirs. Aujourd’hui, si la réalisation de l’égalité salariale passe par l’organisation de la grève féministe du 14 juin 2019, ne mériterait-elle pas elle aussi une véritable grève générale?

José Sanchez