NON à un marché de dupes!

Fin septembre, les Chambres votaient la Loi relative à la réforme fiscale et financement de l’AVS (RFFA), un paquet liant fiscalité des entreprises et AVS. L’Office fédéral de la justice a dénoncé un « cas limite » du point de vue de l’unité de la matière. Cet alliage douteux a un but clair: faire passer en force un projet qui reprend l’essentiel d’une RIE 3 balayée par la population en février 2017.

Au prétexte de supprimer les « statuts spéciaux », la RFFA pousse les cantons à baisser massivement les impôts sur le bénéfice des sociétés anonymes (SA). La plupart des cantons ont déjà annoncé l’ampleur de la baisse et on peut estimer que le taux d’imposition cantonal moyen passera de 13,7% à environ 8%. La grande majorité des PME n’étant pas des SA ou ne déclarant aucun bénéfice, il est faux de dire que la RFFA bénéficiera aux PME. Ce cadeau massif profitera aux plus grandes entreprises et à leurs actionnaires.

Des niches fiscales insensées

La RFFA aménage trois mécanismes pour réduire la part des bénéfices soumise à impôt:

  • La patent box permet de soustraire à l’impôt une bonne part des bénéfices tirés des brevets, patentes ou droits analogues. Elle bénéficiera surtout aux géants de la pharma et de l’agro-industrie.
  • Les entreprises pourront déduire de l’impôt jusqu’à 165% des dépenses en recherche et développement.
  • Les intérêts notionnels permettront de déduire des bénéfices imposables les profits qui auraient été générés par un capital propre s’il avait été placé en bourse.

Ces trois mécanismes décriés durant le débat sur la RIE 3 sont resservis dans la RFFA. Une restriction a certes été ajoutée pour les intérêts notionnels: ils pourront être utilisés dans les seuls cantons où la charge fiscale effective dépasse les 18,03%. Mais si seul Zurich remplit ce critère, c’est aussi là que se situe la majorité des sociétés susceptibles d’utiliser cette niche. C’est par exemple le cas d’ABB, qui prévoyait l’an dernier des licenciements de masse dans sa succursale genevoise.

Jusqu’à 70% du bénéfice imposable exonéré

En guise de « garde-fou », la RFFA prévoit seulement que les déductions fiscales cumulées ne doivent pas dépasser 70% du bénéfice imposable. Cette limite souligne l’importance des niches fiscales qui permettront à l’essentiel des bénéfices des plus grandes entreprises d’échapper à l’impôt. Il s’agit peut-être d’un petit « mieux » vis-à-vis d’une RIE 3 fixant la limite à 80%, mais ce n’est en aucun cas un compromis acceptable.

Il en va de même pour les dividendes, dont la part imposable augmentera un peu pour atteindre 70% au plan fédéral et au minimum 50% dans les cantons. S’il s’agit d’un moindre mal, il est injustifiable que les dividendes ne soient pas taxés en totalité comme les salaires. Les recettes qu’engendrera ce modeste rehaussement sont dérisoires au regard des pertes fiscales dues à l’ensemble du paquet.

Des milliards de pertes pour la collectivité

Le Conseil fédéral a chiffré les pertes découlant de RFFA à 2,1 milliards de francs. Même s’il est impossible de les prévoir exactement, on les estime plutôt à 4 milliards si la conjoncture reste stable. Et rappelons que le Conseil fédéral avait déjà largement sous-estimé les pertes fiscales liées à la RIE 2. Un tel manque à gagner pour les collectivités entraînera des politiques d’austérité brutales. Il est aussi prévisible que l’imposition des personnes physiques soit relevée en conséquence. C’est ce qu’on observe dans certaines communes du canton de Vaud, qui s’est montré pionnier dans la réforme de l’imposition des entreprises. La population passera donc deux fois à la caisse pour payer les cadeaux aux actionnaires: comme usagère et comme contribuable.

4: en milliards, la perte annuelle estimée pour les comptes publics.

Un dumping fiscal renforcé

La RFFA renforcera aussi massivement le dumping fiscal de la Suisse, qui permet déjà de soustraire des sommes énormes au fisc à l’étranger. Ce manque à gagner pour les États a des effets dramatiques dans les pays pauvres, qui se voient privés d’un argent nécessaire à la lutte contre la malnutrition, au développement des soins médicaux, à l’éducation, etc. Pourtant, le prétexte de la RFFA est l’abolition des statuts fiscaux exigée par l’OCDE et l’UE, justement parce que ceux-ci entraînent un dumping fiscal.

La RFFA est donc bien la RIE 3 réchauffée. Afin de faire passer la pilule, le projet a été couplé à un refinancement de l’AVS de 2 milliards de francs. Un bricolage démocratiquement douteux: la population votera sur la fiscalité des entreprises en étant soumise à un chantage sur les retraites. L’assemblage contre nature sert de prétexte au Parti socialiste suisse (PSS) pour présenter ce paquet comme un « compromis ». Lors du vote sur la RIE 3, il en a dénoncé les effets dévastateurs pour la population. On voit donc mal comment la RFFA serait soudainement un compromis acceptable.

Les femmes premières victimes

Le refinancement de l’AVS n’a rien d’une compensation. Il s’agit d’une obligation constitutionnelle et les salarié·e·s payeront une hausse des cotisations. Ce financement ne permettra pas d’éviter d’augmenter l’âge de la retraite des femmes, qui figure dans le projet AVS 21, appuyé par la majorité bourgeoise et mis en consultation par le Conseil fédéral à l’initiative du ministre socialiste Alain Berset.

Les femmes, surreprésentées dans les couches précaires, seront particulièrement touchées par les politiques d’austérité anti-sociales découlant de la RFFA. Beaucoup d’entre elles occupent des postes dans les services publics, notamment dans l’éducation et les soins. Et ce sont souvent elles qui doivent compenser le recul des efforts publics, renforçant ainsi la double journée de travail.

Jean Burgermeister